Christian Lachaud «Il faut bien connaître le safran avant de le cuisiner»

Biologiste et chercheur en psychologie, Christian Lachaud a changé de vie par passion pour cette épice magique.

  • Le safran est souvent perçu comme moyen-oriental alors que c’est une plante méditerranéenne endémique. Keystone
  • Christian Lachaud a changé de vie pour cette épice magique qui est particulièrement difficile à dompter en cuisine.

HGH: Christian Lachaud, on assiste depuis quelques années à une véritable renaissance du safran, en Suisse et un peu partout en Europe. Comment expliquer cet engouement?

Christian Lachaud: Il y a une fascination incontestable pour son aura magique et sacrée, ses vertus culinaires et médicinales. Il y a des agriculteurs qui souhaitent se diversifier et des néo-ruraux qui rêvent de faire fortune, des retraités qui cherchent une activité complémentaire et des amateurs qui le cultivent dans leur jardin.

Le safran est européen, dites-vous. Etonnant, non?

On le croit moyen-oriental alors que c’est une plante méditerranéenne endémique. La génétique a établi que l’ancêtre sauvage de Crocus sativus est bel et bien européen: son berceau historique se situe entre la Grèce, la Crête, les Cyclades et non pas au Cachemire comme on le croyait, ni en Perse comme le revendiquent les Iraniens. Des fresques et des mosaïques datant de l’époque minoenne, vers 2500 ans av. J-C, représentent la récolte de ces premiers crocus. De là, la plante s’est répandue sur tout le pourtour méditerranéen.
Et elle est revenue en Europe de l’Ouest via les invasions arabes et la péninsule ibérique.
Elle se répand alors en Europe dès le XIIe siècle et son succès est considérable. On cultive le safran dans tout le Royaume de France, en Italie, en Angleterre. En 1867, le seul département du Loiret en produit 16 tonnes et on est déjà en plein dans le déclin qui suit la Révolution. Au Xe siècle, c’est la Catalogne qui vend son safran à la Syrie et à l’Egypte et non l’inverse.

On lui prête de nombreuses vertus et son premier usage aurait été médicinal?

Dès l’Antiquité, il est considéré comme une véritable panacée: les Iraniens en ont conservé de nombreux usages et les recherches les plus récentes confirment ce que les Anciens savaient de manière empirique. Le safran est un régulateur du métabolisme, connu notamment pour ses propriétés digestives, euphorisantes, stimulantes, antidépressives, analgésiques, anti-inflammatoires, anti-cancéreuses. Il est aussi excellent pour le sommeil: en cas d’insomnie, j’en mâchonne quelques stigmates et je dors comme un bébé. Son usage en tant que colorant est aussi ancien: des peintures rupestres vieilles de 45’000 ans contiennent des pigments de safran.

Les fraudes seraient universelles et considérables?

Elles sont de tout ordre, sur la qualité: que le safran soit trop vieux, éventé, mal conservé. Ou par adultération: en lui ajoutant toutes sortes d’éléments, voire des fibres végétales imprégnées de colorant artificiel. Pour mesurer leur ampleur, il suffit de considérer les échanges mondiaux : en 2010, 200 tonnes de safran sont officiellement produites, pourtant il s’en est exporté quatre fois plus et importé six fois plus. L’exemple de l’Indonésie est amusant quand on sait que leur climat ne permet pas de produire de safran. Or en 2010, l’Indonésie en importe une tonne et en exporte 379 tonnes.

Comment reconnaître le «vrai» du faux safran?

Les tricheries sont parfois très difficiles à déceler, même pour un connaisseur. Il m’est arrivé récemment d’être bluffé par un échantillon. Tout d’abord, je déconseille absolument le safran en poudre, qui se prête à toutes les tricheries, s’évente rapidement et perd toutes ses vertus. Il y a l’odeur bien sûr: un vrai safran embaume.
En bouche, un stigmate se signale par sa pointe d’amertume et sa longueur en bouche; c’est une fraude ou alors un très vieux safran. Il y a la couleur aussi. On peut faire un petit test simple: vous déposez un stigmate sur du papier blanc, vous ajoutez une goutte d’eau et vous frottez. Le vrai safran va révéler une couleur jaune dense, légèrement orangée; si c’est rouge ou orange intense, il y a du colorant artificiel.

Comment l’utiliser en cuisine?

La chimie du safran est complexe. Il compte plus de cent composés chimiques, dont certains précurseurs d’arômes. La cuisson transforme le safran lui-même; à son tour, il révèle et agit sur les autres ingrédients. C’est une des raisons pour lesquelles les gens se disent parfois déçus: soit le safran est faux, soit ils l’ont mal utilisé. Certains de ses composants sont liposolubles et hydrosolubles. Il a donc besoin de gras et d’eau pour se révéler et de dosage précis. Le mieux est de le faire tremper dans du lait, à l’iranienne. Pour une omelette, je suggère d’ajouter une pincée de safran dans un demi-verre de lait, la veille ou au minimum trois heures avant. Et surtout, ne pas poivrer l’omelette.

Que faut-il savoir avant d’en ajouter à un plat?

Il faut connaître ses six propriétés principales: colorant et aromatique, c’est aussi un exhausteur de saveurs. C’est-à-dire qu’il peut ne pas aromatiser certains ingrédients, mais seulement augmenter leur intensité. C’est aussi un harmonisateur de flaveurs, capable de marier et de fondre un ensemble d’ingrédients en un tout harmonieux. Il a aussi un aspect ésotérique, c’est-à-dire une dynamique propre qui organise notre perception dans le temps. Je l’ai récemment éprouvé en faisant une gelée de mûres: la première impression était bizarrement celle d’une confiture de pruneaux, qui évolue sur des arômes de mûres très intenses avec une étonnante longueur en bouche. C’est aussi le cas des fruits de mer, dont le safran fait disparaître le côté iodé au profit de notes fruitées et florales. Il est enfin antioxydant, ce qui permet de jouer avec la couleur: une confiture de kiwi qui vire normalement au marron, va garder un beau vert si on y ajoute du safran.

Comment le doser?

On compte un gramme pour cinquante personnes, soit environ 100 mg pour cuisiner pour 4 à 6 personnes.

Quelques mariages heureux à nous suggérer, parmi les recettes que vous proposez?

Les plus éblouissants sont avec les coquillages et crustacés. On peut aussi le marier aux saveurs plus neutres du riz, des œufs ou des pâtes. Moins connus, les haricots ou les cucurbitacées, mais aussi les laitages, voire des viandes blanches, volaille, canard cuit dans sa graisse. Les confitures de fraise, de pêche et les salades de fruits au safran sont aussi fabuleuses, pour ne pas citer les boissons traditionnel-les: sirop de safran, thés, alcools,etc.

Propros recueillis par Véronique Zbinden

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