«L’acte de s’attabler dans un restaurant est symboliquement fort»

Quelques jours avant la remise à Beaulieu des CFC à laquelle il participera, Louis Villeneuve évoque sa conception du service et les règles élémentaires du métier.

Louis Villeneuve, une figure emblématique du Restaurant de l’Hôtel de Ville.

Depuis 41 ans, il est l’une des figures emblématiques du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, où il a successivement travaillé pour Frédy Girardet, Philippe Rochat et Benoît Violier, et où il continue d’œuvrer aujourd’hui aux côtés de Brigitte Violier et Franck Giovannini, même s’il a transmis il y a cinq ans déjà la direction du restaurant à Alessandro Egidi.
Chez celui qui fêtera en septembre le 50e anniversaire de son arrivée en Suisse, où il a d’abord travaillé plusieurs saisons outre-Sarine avant de mettre le cap sur Crissier, la passion du métier transparaît dans chaque geste et sert de carburant à une carrière entièrement dévolue à l’excellence et qui lui a valu en 2006 l’Ordre national du mérite.

Qualité d’écoute et sens du détail

En dépit des épreuves qu’il a dû affronter au fil des ans, et qu’il a évoquées avec beaucoup de pudeur dans «Le majordome de Crissier» paru en 2011, Louis Villeneuve n’envisage pour l’heure pas de prendre sa retraite. La preuve: il est toujours fidèle au poste à Crissier et participera le 28 juin prochain à la remise des CFC vaudois au Palais de Beaulieu, ponctuant la fin de la formation initiale des apprentis cuisiniers et spécialistes en restauration, notamment. «C’est la deuxième fois que je participe à cet événement et je me réjouis de pouvoir y représenter une maison qui est souvent citée en exemple, mais qui n’éclipse pas toutes les autres qui sont au service de notre belle profession. La restauration en général et le service en particulier sont en effet des métiers où chacun peut s’exprimer à la mesure de ses moyens, et, si les établissements ne jouent pas tous dans la même ligue, ils ont chacun la possibilité de s’engager en faveur de la branche en cultivant une qualité d’écoute et un sens du détail qui font toute la différence», confie Louis Villeneuve.

«Un bon plat mal servi peut ruiner tous les efforts d’une brigade.»
Louis Villeneuve

A ses yeux, le respect de la clientèle est l’un des fondements du métier. Une profession de foi qui ne surprendra personne, eu égard à son parcours exceptionnel, mais qui se double d’une réflexion pertinente sur le rôle des restaurateurs dans la société. «Une personne qui s’arrête dans un bistrot ne vient pas seulement pour boire un café ou une eau minérale; elle est là parce qu’elle a besoin dans sa journée d’une transition harmonieuse, qu’elle soit entre deux rendez-vous, sur le point de prendre un train ou désireuse de s’offrir un peu de temps pour elle. De fait, elle est heureuse quand on la gratifie d’un bonjour et qu’on la remercie quand elle part. Il s’agit là d’un strict minimum, mais cela suffit à créer un lien et contribuer au bien-être de celle ou celui qui a pris la peine de s’attabler plutôt que de s’acheter une boisson à un distributeur.
Le processus est similaire quand on exploite un restaurant.» Anticiper les réclamations Lors d’un récent dîner avec Gérard Rabaey avec lequel il a notamment parlé du rôle du service dans la gastronomie, l’ancien patron du restaurant Le Pont de Brent a reconnu que ce volet était au moins aussi important que la qualité des mets servis. «Un bon plat mal servi ruine tous les efforts de la brigade, c’est un fait. Nous devons donc à la fois être irréprochables au niveau du service et anticiper les éventuels problèmes qui pourraient survenir en cours de repas», poursuit Louis Villeneuve. Parmi les règles élémentaires qu’il a inculquées à plusieurs générations de spécialistes en restauration à Crissier, et qui peuvent s’appliquer à tous les types d’établissements, figure en effet la gestion préventive des réclamations. «En salle, un serveur attentif peut rapidement déduire de l’attitude d’un client qu’il est mécontent, et, dès cet instant, il est de sa responsabilité de transmettre l’information au directeur de salle et à la brigade s’il y a un problème de cuisson ou de température. Plus le problème est identifié en amont, plus nous avons une chance de le résoudre avant qu’il ne gâche pour de bon le repas. Ce genre de situations survient très rarement à Crissier, mais nous restons malgré tout aux aguets, et, à titre personnel, j’encourage tous les établissements à briefer leur personnel de la sorte même si l’incident survient avec un plat du jour. C’est avec une discipline pareille que l’on se forge une réputation.»

La théorie indispensable

La discipline, justement. Louis Villeneuve la voit comme l’assurance d’une qualité de service constante, au même titre que la théorie sur laquelle il convient de revenir inlassablement pour que chaque collaborateur ait les mêmes bases – un programme de formation interne existe d’ailleurs depuis de nombreuses années au Restaurant de l’Hôtel de Ville pour que toute l’équipe tire à la même corde. Elargies à toutes les catégories d’établissements, ces notions théoriques pourraient prendre la forme de conseils simples et facilement applicables: «Le b.a.-ba est de donner une carte au client dès qu’il s’installe. D’une part, il se sent pris en charge et a le temps de faire tranquillement son choix; d’autre part, le serveur peut en profiter pour débarrasser les autres tables.
Quant au personnel qui s’isole en terrasse pour fumer une cigarette ou qui choisit le métier en le méprisant, je trouve cela inadmissible, dans le sens où c’est un manque de respect pour la clientèle, et la pire des publicités pour la branche», conclut Louis Villeneuve en soulignant à ce propos le rôle central joué par les associations professionnelles comme Hotel & Gastro Union dont il fait partie, afin de valoriser la profession.

Patrick Claudet

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