Quand la forêt s’invite en cuisine

Bourgeons de sapin, mousse de chêne, sirop d’arole, viandes fumées, menus thématiques autour du bois: un des grands trends du moment, de Montheron à La Punt.

En provenance notamment des pays nordiques, la cuisine d’inspiration sylvestre est une tendance forte.

Une infusion de plantes forestières fouettée par un trait de marc, en guise d’apéro dans la neige, autour d’un feu de bois – apéro suivi par quelques escargots, des pommes de terre en croûte d’argile au vacherin Mont-d’Or, du marcassin et une polenta violette, des cèpes et des fruits rouges, une mousse d’infusion de chêne, du sérac fleuri de myrtilles et de violettes, voire quelques eaux-de-vie de sureau et d’amélanchie. Le tout avec une déco, un éclairage et des musiques de circonstance…

Les soirées 100% sylvestres proposées en début d’année par Rafael Rodriguez à l’Auberge de l’Abbaye de Montheron n’ont pas tardé à afficher complet. Un franc succès pour une invitation délicieusement poétique. «L’idée s’est imposée tout naturellement, du fait de notre situation au cœur des bois du Jorat, de consacrer des soirées thématiques à la forêt», explique le patron Romano Hasen­auer. Jusqu’à l’eau, qui provenait des différentes sources du Jorat. 

Une tendance très forte

Autre décor, inspiration semblable. Une cheminée géante aménagée au cœur d’une station de taxis désaffectée de Zurich, de longues tablées avec des assiettes éblouissantes surgies du crépitement de la braise. Des mets cuits à la cendre ou dans un vieux fumoir traditionnel: omble chevalier du lac de Zurich, rillettes de porcelet d’Ormalingen, saucisses maison fumées à l’épicéa, cœur d’agneau à la bergamote. Une dizaine de plats issus de produits de proximité et de qualité, biologiques, autour du thème du bois. Wood Food: les flamboyants dîners éphémères imaginés par un trio passionné – Valentin Diem, Laura Schälchli et Fanny Eisl – ont fait salle comble durant un mois à Zurich en fin d’année dernière.

L’idée pourrait connaître bientôt un prolongement en Suisse romande, mais aussi sous forme de livre. Une série de festins récents qui témoignent de l’engouement des chefs pour la forêt et ses trésors. Tout comme «L’appel gourmand de la forêt» – que vient de publier Linda Louis (Edition La Plage), invitant de même à aller puiser son inspiration en se promenant dans les bois.On citera également Carlo Crisci, qui propose entre autres une exquise pintade aux bourgeons de sapin. Le chef doublement étoilé du Cerf fait appel à une bonne cinquantaine de plantes sauvages – herbes, fleurs et autres racines récoltées au pied du Jura, dans les Préalpes et les Alpes fribourgeoises.

De l’égopode à l’épiaire – dont les feuilles infusées produisent un consommé au goût de bolets, de sous-bois, de bœuf, un breuvage magique qui imite à s’y méprendre le consommé classique et déconcerte la clientèle végétarienne. Ou encore Georges Wenger qui pratique depuis toujours une cuisine en résonnance avec l’environnement foisonnant des Franches-Montagnes et connaît intimement la moindre mousse, le moindre bourgeon, le plus humble champignon. «C’est une tendance très forte», confirme Romano Hasenhauer, venue notamment des pays nordiques. Le talentueux chef de Montheron Rafael Rodriguez est du reste passé par les cuisines du Noma, à Copenhague.

Emergence des «modernistes»

Evoquant la cuisine nordique et les points forts de son fameux manifeste – «pureté, fraîcheur, simplicité, éthique associées à la région; saisonnalité, produits remarquables de nos terroirs» –, Alessandra Roversi observe que les meilleurs chefs suisses ont adopté la même philosophie, sans toutefois savoir la communiquer. Pour la spécialiste en Food Communication, «les grands cuisiniers du Nord ont su thématiser, collaborer et communiquer, là où la cuisine suisse manque de chefs de file et s’en tient à des visions personnelles, sans parvenir à collaborer ni à communiquer. On observe pourtant le même recentrage sur le territoire, une vision cousine: pureté, nature, fraîcheur. C’est d’autant plus regrettable que nous avons ici un incroyable réservoir, une diversité de produits bien plus grande.»

La tribu des «modernistes» qu’on voit émerger ces dernières années dans le sillage d’Andreas Caminada aux Grisons, et de Nenad Mlinarevic notamment (Focus, à Vitznau) fait peut-être exception, elle qui parle ce même langage de simplicité, de naturalité, de cueillette fertile dans les prés et les bois environnants. Le menu thématique du restaurant Krone à La Punt, en Engadine, tenu par un proche du même Caminada, autour de l’essence omniprésente de la région, l’arole, en atteste: praline de gibier aux bourgeons d’arole; ravioles au sirop d’arole et poire, écume de cynorrhodon; selle de lièvre laquée en croûte d’arole, etc.

On soulignera aussi l’apport technique de la cuisine nordique: retour du séché, du fumé, du fermenté, des conserves et des techniques de cuisson, du fumage avec certaines essences bien spécifiques. Voire l’inspiration du décor de table et du design nordiques: les menus forestiers sont présentés dans des écorces, avec de la pierre, de l’ardoise, du lichen, etc. De quoi évoquer la cuisine multisensorielle, cet autre trend global.

Mais aussi tout le paradoxe du sauvage par procuration, «d’une nature domptée mais pas tant que ca», sourit Alessandra Roversi, qui vient de découvrir que les grandes surfaces suisses se sont mises tout récemment à vendre l’ail des ours en barquettes.

Véronique Zbinden


Davantage d’informations:
<link http: www.montheron.ch>www.montheron.ch
<link http: krone-la-punt.ch restaurant>

krone-la-punt.ch/restaurant