Explorer le lien entre gastronomie et santé

L’Institut de Nutrition R&D de l’EHL a convié les professionnels de la santé et de la restauration à confronter leurs expériences, autour de quelques dégustations.

Une alimentation ciblée selon l’âge, les circuits courts et le bio sont à privilégier au même titre que le plaisir. (keystone-ats)

Quelque 2,046 millions de repas par an, dont 270 247 destinés à des régimes spéciaux, le tout pour un budget de 16,5 millions de francs et en réseau avec quelque 110 fournisseurs. Cheffe du Service Hôtelier du CHUV, Silvia Hanhart a égrené quelques chiffres spectaculaires pour présenter son rôle auprès des patients. A l’opposé, la jeune cheffe de l’EHL Lucrèce Lacchio a expliqué se sentir privilégiée avec les 80 couverts servis quotidiennement au Berceau des Sens et l’objectif de faire «le bonheur de ses convives grâce à sa cuisine très végétale, riche en fruits et en produits simples». Silvia Hanhart et Lucrèce Lacchio étaient deux des intervenants de haut vol conviés récemment par l’institut de Nutrition R&D de l’EHL. Un séminaire passionnant sur le dialogue entre gastronomie et santé, alternant théorie et ateliers pratiques avec les chefs et MOF Cédric Bourassin, Michel Magada et Julien Boutonnet, autour de l’élaboration de menus, desserts et petits déjeuners sains et équilibrés.

Hausse des allergies véritables

La Dr Katerina Galperine a fait le point sur les connaissances actuelles relatives au microbiote et évoqué les prodigieuses possibilités thérapeutiques qui semblent s’ouvrir ici. Spécialiste de l’obésité, la Dr Lucie Favre a de son côté évoqué les inégalités criantes dans ce domaine. L’épidémie touche à ce stade 12 % des Suisses – trois fois plus d’Américains – mais ces cas sont de plus en plus sévères et leur surgissement de plus en plus précoce chez les enfants, entraînant immanquablement de nombreuses maladies. Pour la Dr Dominique Truchot-Cardot, responsable du SILAB (Labo Innovation de la Source), il importe d’individualiser son régime en fonction du vécu de chacun et de revenir au bon sens élémentaire. Citant Paracelse («ce qui est nourriture pour l’un est poison pour l’autre») et Hippocrate («que ton aliment soit ta médecine»), elle a tissé un fascinant fil rouge entre la Grèce antique, le XVIe siècle et 2024. «Ce qui tue, ce sont les allergies véritables – arachide, fruits à coque, gluten, soja en particulier –, qui affectent 8 % de la population suisse», note Dominique Truchot-Cardot. En 2025, cette proportion devrait s’élever à 50 % si l’on se fie aux projections de l’OMS.

Les plus fragiles plus exposés

Un autre enjeu vital, qui fait écho à Paracelse tient à la complémentation alimentaire, parfois anarchique, et qui concerne 25 % des Suisses. On sait par exemple que le bétacarotène est cancérigène pour les anciens fumeurs. Parmi les contraintes soulignées par cette spécialiste, les moyens financiers: 8,2 % de la population helvétique vit sous le seuil de pauvreté. Les plus fragiles, on le sait, sont davantage exposés à l’obésité, comme à la dénutrition protéique. A cela s’ajoutent les intolérances alimentaires – quelque 20 % des Suisses au moins évitent le lactose et le gluten – voire ce qu’on peut qualifier d’orthorexie médiatique et les injonctions religieuses.


«Ce qui tue, ce sont les allergies véritables, qui affectent 8 % de la population suisse»

Dominique Truchot-Cardot, responsable du SILAB


«Non négociables» selon l’experte: le jeûne durant un cancer, le véganisme appliqué aux femmes enceintes et aux jeunes enfants, les régimes restrictifs après 70 ans. A proscrire aussi, les régimes d’éviction sans connaissances adéquates, les sucres rapides et les aliments ultratransformés, liés à la hausse de certains cancers. A privilégier, au contraire, la vitamine D (dont les Suisses sont les plus carencés au monde), une alimentation ciblée selon les âges de la vie, les circuits courts et le bio, une activité physique adaptée et, surtout, le plaisir. Laissée au bon vouloir des établissements, l’éducation à l’alimentation devrait être généralisée.

Au CHUV, la diète de base varie entre 1800 et 1900 catégories quotidiennes et entend aussi offrir un moment agréable à ses patients, grâce à des repas attrayants, gustativement et visuellement, a encore détaillé Silvia Hanhart. «C’est encore plus important lorsque nous sommes confrontés à des mécanismes de perte de goût, avec pour contraintes premières de privilégier les produits régionaux et de saison, d’offrir un degré élevé de fait maison. En tout, 33 régimes différents sont concoctés dans les cuisines du CHUV,destinés à des bébés ou des allergiques, voire à des demandes spécifiques ou supplémentées en nutriments.»

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

nutritionrd.ehl.edu