«L’expérience culinaire offre une plus-value»

Le 18 avril est la journée mondiale des voyages gourmands. Un point sur les tendances avec Erik Wolf, fondateur et directeur de la World Food Travel Association.

Erik Wolf, quelles sont selon vous les trois ou quatre meilleures destinations culinaires du moment?
Recommander une destination est à peu près aussi difficile que choisir un parfum pour une femme ou une cravate pour un homme; nous avons notamment déterminé treize profils psychoculinaires différents. Mais je mettrais en avant San Sebastian, au Pays basque, une véritable féérie pour les gourmands, dont il faut parcourir les bars à pintxos, les cidreries et goûter le txakoli, ce vin blanc sec légèrement pétillant. Cuenca, en Équateur, s’est portée candidate à notre certification des Capitales culinaires et nous avons été éblouis par son patrimoine culinaire, riche de centaines de plats.

D’autres suggestions?
Je citerais aussi Poznan, en Pologne, patrie des croissants de St-Martin, ces pâtisseries fourrées au pavot, des pierogi ou du bortsch clair, voire de super vodkas à prix très doux. Ou encore la mexicaine Tlaxcala – dont le nom signifie «maison de la tortilla», à découvrir pour ses fruits et légumes, dont les meilleurs avocats que j’aie goûtés, à deux heures de Mexico.

Vous avez créé votre association en 2003: qu’est-ce qui a changé en vingt ans?
A l’époque, les offices de tourisme passaient souvent à côté de l’expérience culinaire, pour se concentrer sur l’organisation de congrès, les sites culturels ou le shopping. Les destinations commençaient à se ressembler de plus en plus et on n’évoquait même pas le patrimoine culinaire. En 2001, j’ai rédigé un livre blanc sur la valeur ajoutée de la gastronomie et des boissons, devenu le fondement de notre association. Là-dessus, l’énorme augmentation de l’intérêt médiatique a contribué à l’engouement pour le tourisme culinaire.


«Si les prix montent, une destination peut vite perdre son attrait»

Qui sont ces touristes?


Selon une étude récente (Food Travel Monitor 2020), 92 % des voyageurs choisissent désormais leur destination en fonction de sa réputation gourmande. D’une certaine manière, on peut dire que nous sommes tous des voyageurs gourmands. Il est inexact de considérer ce groupe comme plus riche, limités à certains pays, un certain âge ou une origine ethnique. En vérité, tout le monde aime la bonne cuisine ou presque et est prêt à voyager pour elle. Nos recherches indiquent que les amateurs de bonne chère ont tendance à avoir un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne, mais le revenu n’est pas un critère.

Ces destinations sont-elles vouées à durer et quels sont les ingrédients de leur succès?
Devenir une destination culinaire commence en principe par l’agriculture. Certains produits sont parfois importés, si l’on songe à l’Islande, à Las Vegas ou à Dubaï, mais cela tend à créer une expérience artificielle. Si les produits cultivés sont de bonne qualité, les chefs y sont attentifs et s’en emparent et cela va créer une dynamique. Les amateurs vont s’y intéresser, suivis par le grand public. Si une destination devient trop attractive et que les prix montent en flèche, ou si la criminalité, les sans-abri ou des problèmes de drogue prennent le dessus, elle peut toutefois perdre son attrait, même si la nourriture y est excellente. C’est ce qui s’est passé à Portland, dans l’Oregon, destination très en vue vers 2012, avant de connaître un déclin rapide, peut-être parce qu’elle s’est mise à imiter d’autres destinations à la mode.

 

Erik Wolf a fondé en 2003 la World Food Travel Association. (dr)

A propos de tourisme culinaire, quid de la Suisse?
Vu la petite taille de la Suisse, la production agricole est limitée. Pour prendre l’exemple des vins, on pourrait les considérer presque tous comme des vins «boutique», en raison de leur rareté et des faibles quantités exportées. Cette rareté semble destiner la Suisse à offrir des produits haut de gamme à des prix élevés. Le conservatisme vient aussi à l’esprit, s’agissant d’un pays de traditions très anciennes, avec un fonctionnement immuable et une population aisée, donc peu encline au changement. Je sais que l’office du tourisme promeut sa cuisine et pourtant la Suisse n’est pas perçue comme une destination gastronomique. Peut-être en raison du coût. Ou de l’exiguïté du territoire. Et à part la fondue, les fromages et le chocolat, la plupart des amateurs de cuisine ne savent pas vraiment ce qu’elle a à offrir. J’y vois une opportunité.

(Propos recueillis par Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

worldfoodtravel.org/what-is-food-tourism