Directeur général de l’emblématique palace depuis février, Lars Wagner a tiré profit de son expérience au sein de grands groupes hôteliers pour souffler un vent de modernité sur la maison familiale. Rencontre.
Ne soyez pas étonné si vous voyez Lars Wagner lever les yeux au ciel. Le réflexe ne trahit pas un quelconque désintérêt vis-à-vis de son interlocuteur, mais plutôt la passion sans borne qu’il voue pour l’aviation. Sur la terrasse de l’établissement du quai du Mont-Blanc, rebaptisée La Terrasse by Dominique Gauthier durant tout l’été, il ne manque d’ailleurs pas de pointer du doigt, à intervalles réguliers, les traînées blanches qui strient l’azur. A l’aide de Flightradar, sans doute l’une de ses applications préférées, il renseigne son hôte sur l’itinéraire de l’avion qui survole Genève. Parfois aussi, il surveille la progression d’autres vols à l’autre bout du monde, comme ce Newark-Singapour dont il connaît précisément l’heure de départ.
Mais si cette passion juvénile et contagieuse pour l’aviation l’a encouragé à postuler, à l’âge de 20 ans, comme pilote chez Lufthansa, elle n’éclipse pas l’autre, tout aussi vibrante, qu’il nourrit pour l’hôtellerie. «Je suis le fils d’un hôtelier et j’ai vécu toute mon enfance dans les établissements qu’il dirigeait. Mon premier souvenir est même intimement lié à cette vie de nomade que nous menions. Je me revois, tout petit, en Grèce, où nous partagions chaque soir à 18h le repas en famille, avant que mon père ne reparte travailler», raconte l’Allemand de 54 ans, père de quatre enfants.
Ces souvenirs émus d’une jeunesse passée à courir dans les couloirs d’un hôtel sont un point commun avec Jacques Mayer, propriétaire avec sa sœur Catherine Nickbarte-Mayer de Beau-Rivage, qui a fêté son 150e anniversaire en 2015. Et c’est parce que les deux hommes ont réalisé qu’ils étaient sur la même longueur d’onde que Lars Wagner a été nommé directeur général en début d’année, au moment où Alexandre Nickbarte-Mayer est devenu, lui, administrateur délégué.
Depuis son entrée en fonction, l’ancien directeur du Mandarin Oriental Genève a mis en place un certain nombre de procédures calquées sur celles en vigueur dans les grands groupes hôteliers. «Elles concernent d’abord les outils marketing à disposition de nos équipes pour promouvoir l’établissement sur nos différents marchés. Cela inclut non seulement le site Internet, que nous avons entièrement remodelé, mais aussi la tarification, plus flexible, et la collaboration avec de nombreux partenaires locaux jusqu’alors négligés», explique l’hôtelier, qui a notamment travaillé au Grand Hyatt à Bangkok et au Ritz-Carlton à Chicago en qualité de directeur de la restauration, avant d’occuper des postes de directeur général chez Four Seasons (Provence, Prague), InterContinental (Paris) et Mandarin Oriental (Munich puis Genève).
Dans un second temps, Lars Wagner a pris un «risque calculé» en renommant, par exemple, certaines suites. La Suite Maharaja est ainsi devenue la Suite Historique, tandis que celle qui portait le nom d’Eleanor Roosevelt – la femme qui, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, a planché dans le cadre feutré et intimiste de Beau-Rivage sur la Déclaration universelle des droits de l’homme – a été rebaptisée Suite Royale. Une manière pour le Genevois d’adoption de rendre justice aux qualités intrinsèques de ces chambres récemment rénovées, et dont la dénomination joue un rôle déterminant à l’heure où la majorité des hôtes procèdent à la réservation via les plateformes en ligne. «Dans le cas précis, j’ai aussi pu me rendre compte des avantages liés à une maison indépendante: le changement de nom a été tout de suite validé par la famille, alors qu’il aurait fallu plusieurs semaines au sein d’un grand groupe.»
Cette proximité avec les propriétaires de l’établissement qui en incarnent l’âme véritable, Lars Wagner compte bien en tirer profit. Il prévoit ainsi prochainement un voyage de prospection à Londres, où il présentera Jacques Mayer, véritable ambassadeur de Beau-Rivage, à plusieurs représentants de la presse anglaise. L’occasion pour lui d’évoquer quelques souvenirs personnels, dont le public est toujours friand, et d’expliquer comment la maison parvient à combiner tradition et modernité.
A ce titre, le succès estival de La Terrasse by Dominique Gauthier en dit long sur la capacité de la maison à se réinventer. Le chef, il est vrai, a réussi l’exploit de maintenir l’excellence du Chat-Botté (18/20, 1 étoile Michelin), qui a rouvert lundi, dans le cadre plus convivial de la terrasse. Les amoureux de sa cuisine, ceux qui ne se lassent pas de l’entendre parler de ses homards pêchés au casier ou de sa volaille élevée au grand air, ne seront pas surpris.
A l’heure du café, un nouvel avion survole la ville. Lars Wagner le suit du regard et confie qu’il a un projet pour ses vieux jours: passer son brevet de pilote. Il ne restera alors plus qu’à lever les yeux pour le voir passer au-dessus de nos têtes.
(Patrick Claudet)