La jeune directrice du restaurant lausannois d’Anne-Sophie Pic, au Beau-Rivage Palace, a remporté lors du Sirha le Trophée du Maître d’Hôtel. Son CV est éblouissant.
Diane Blanch, vous êtes à 33 ans la directrice du restaurant doublement étoilé d’Anne-Sophie Pic, à Lausanne. Quel est votre parcours?
J’entre très tôt dans le monde professionnel: après un bac pro à l’Ecole Ferrandi et l’Ecole hôtelière, j’ai été engagée au sein du groupe Alain Ducasse pour quatre ans d’apprentissage, d’abord au Drugstore Publicis, puis à la Brasserie du Relais Plaza, soit deux univers très différents, avec d’un côté de gros volumes, de l’autre LE gastro, avec les techniques en salle de découpe, du chariot à pâtisseries, etc.
Votre premier poste de cheffe de rang?
C’est à 18 ans chez Christian Constant au Violon d’Ingres, une étoile Michelin, et j’y reste un an. Ensuite, je passe chez Alain Senderens, avec Jérôme Banctel comme chef, puis au Mandarin Oriental pour l’ouverture de l’hôtel. Tous les samedis soirs, on dégustait à l’aveugle, on faisait des voyages dans les vignobles – c’est là que j’ai mis le pied en Suisse pour la première fois, chez Marie-Thérèse Chappaz. J’y reste deux ans, qui m’ont permis de développer ces compétences-là. Puis j’entre au Bristol où je travaille avec Frédéric Käser, directeur du restaurant Epicure et un de mes mentors, et j’y reste cinq ans. Là, ce qui m’intéressait, c’était tout le travail de salle, avec des volailles en vessie, des poissons: il n’y a plus beaucoup de maisons à le faire.
A quel moment vous intéressez-vous aux concours?
A l’époque du Mandarin, en 2009, j’ai commencé par la Coupe Georges Baptiste, que j’ai faite à trois reprises, jusqu’à remporter la finale nationale, puis la finale européenne. J’ai aussi tenté le MOF, mais je manquais de maturité… C’est un peu comme un club: le fait de passer un concours crée beaucoup de lien social, permet de rencontrer des professionnels qui vous inspirent, des mentors.
Et vous quittez ensuite Paris pour Lausanne?
Presque. Après une parenthèse chez Ducasse, le temps de l’ouverture du Bateau sur la Seine, et encore un an dans une table étoilée du 17e, la Scène Thélème. Là-dessus, j’arrive en Suisse et à la fin de la pandémie, j’entre chez Anne-Sophie Pic comme directrice.
Vous n’avez jamais été tentée par la cuisine, plutôt?
J’ai su tout de suite que ce serait la salle. J’adore manger, mais j’apprécie plus encore le côté social, le fait de discuter, de pouvoir voyager, d’apprendre des langues et découvrir d’autres cultures.
Quelles sont les qualités d’un bon maître d’hôtel?
Un talent pour la communication, avec les clients et avec les équipes. Dans certains restos, il y a une forme de rivalité, voire de guerre, entre cuisine et salle. Je me vois au contraire comme l’ambassadrice de la cheffe: je suis là pour mettre en valeur le travail de la cuisine, pas pour me mettre sur le devant de la scène. C’est pour la cuisine que les clients se déplacent, et s’ils reviennent, c’est parce qu’ils ont vécu des émotions, qu’on a su faire passer quelque chose, répondu aux questions et que le sommelier a créé de beaux accords.
Valorise-t-on suffisamment les métiers de la salle?
Non, bien sûr. Qui pourrait citer un directeur de salle iconique? Qui connaît Frédéric Käser ou Denis Courtiade, pour moi de vraies icônes du métier? Aucune émission n’est consacrée au service, qui reste toujours un peu dans l’ombre de la cuisine. Alors, bien sûr, il y a les concours et cela passe aussi par des associations.
Selon vous, la profession se féminise-t-elle?
Il y a quinze ans, quand j’ai demandé à faire mon apprentissage au Plaza, au gastro avec Denis Courtiade, on m’a dit qu’il ne prenait pas de femmes car les plateaux étaient trop lourds… Les idées ont heureusement évolué depuis et, si vous prenez les concours, pour le trophée, nous étions cinq femmes sur six finalistes. Au restaurant d’Anne-Sophie Pic Lausanne, au Beau-Rivage Palace, c’est très équilibré en termes de genres et je reçois presque uniquement des candidatures féminines en ce moment.
Quelles sont les tendances du moment en sommellerie?
Il y a une vraie tendance à composer des accords mets-boissons sans alcool. Paz Levinson était très frustrée, pendant sa grossesse, qu’on ne lui propose souvent que de l’eau ou des jus de fruits. Nous avons une gamme très variée de thés, kombuchas, mocktails, slow cafés notamment et un menu découverte aux accords variés. En 2024, la rénovation du restaurant, nous permettra d’aller encore plus loin dans la mixologie en ajoutant un bar dédié.
Vos vins préférés?
J’adore le Chenin, sinon j’aime beaucoup les appellations Montlouis-sur-Loire et Vouvray. Ou plus au Sud, côté Languedoc ou Priorat avec des cépages comme le grenache, mais plutôt sur la fraîcheur.
(Propos recueillis par véronique zbinden)
«On a reçu les sujets en période de fêtes et ça ne laissait que cinq semaines pour se préparer. C’est plus compliqué de le faire tout en supervisant un restaurant comme celui d’Anne-Sophie Pic à Lausanne, mais j’ai une bonne équipe, qui est ici depuis longtemps, et qui connaît les standards de la maison. Le propre du maître d’hôtel est de pouvoir toucher à tout. Pour l’épreuve de culture générale, c’est vraiment lié à l’expérience, la curiosité, l’envie de lire et de s’informer. Pour l’art du service, il fallait réaliser des huîtres pochées flambées: je me suis préparée avec le chef, on a choisi de les accompagner d’un sabayon monté en salle et là, il n’y a que la répétition pour réussir parfaitement. Pour ce qui est du café, l’idée étant de valoriser le patrimoine culturel lyonnais, j’ai choisi un verre en forme de bonbon pour rappeler les papillotes lyonnaises qu’on offre en fin d’année avec, à l’intérieur, un mélange café-lait meringué. Quant aux fromages, sur le thème imposé de la fourme de Montbrison, j’ai imaginé une préparation originale, montée comme un millefeuille avec du pain parchemin et associée au chocolat. Pour le vin, je me suis inspirée de mes origines espagnoles et d’une technique un peu oubliée de la région de Jerez, en exhumant la venencia, une sorte de grande baguette munie d’un petit gobelet qu’utilisent les vignerons pour déguster dans le chai. Enfin, comme la marraine du concours était Carole Duval Leroy, nous avons dû sabrer le champagne pour l’épreuve surprise.»
(vzb)