En ce début d’année du lapin, on songe qu’elle sera pour beaucoup sans viande et sans alcool, sans gluten ni lactose. Petite revue des tendances et des oracles.
La première volée de sommeliers suisses certifiés en eau minérale vient de passer ses examens: ces brillants jeunes gens ne seront pas de trop pour nous aider à affronter une période qui s’annonce d’une folle sobriété. Visite de sources naturelles, analyse sensorielle et formation avec Anke Scherer, la spécialiste du bar à eaux du Grand Resort Bad Ragaz en vue de «maximiser l’expérience gustative», tel est le cursus de ces experts d’un genre nouveau, mais aussi service et pairing mets-boissons sans alcool.
Au restaurant, il y a belle lurette en effet qu’un menu ne s’accompagne pas uniquement de vins, l’offre et les types de pairings se sont multipliés au fil des ans. Les mocktails sont toujours en expansion et de nouvelles boissons étoffent la gamme: kombucha, kefir, shrub, infusions d’épices, d’herbes, de fleurs, sirops ou limonades traditionnels font «bouger les lignes», créant une concurrence nouvelle aux bières et vins désalcoolisés, eux-mêmes de plus en plus nombreux. Après Dry January on verra bientôt poindre Sober October; les nouveaux sommeliers affûtent leurs shakers pour proposer des vins capables de con-currencer ces jus, à des prix décents, issus parfois de cépages nouveaux ou peu connus et de modes de vinification différents. Selon l’International Wines and Spirits Research, le segment des boissons faiblement alcoolisées et autres hard seltzers a crû de plus de 7 % en 2022 et devrait augmenter globalement d’un tiers d’ici 2026, alors que les catégories de kombuchas, eaux végétalisées, boissons fruitées et gazeuses sans alcool enregistrent chacune annuellement des hausses entre 4 et 10 %.
De manière générale, 2023 voit émerger ou se confirmer trois tendances alimentaires majeures, selon l’experte Hanni Rützler, qui s’inscrivent toutes dans une même perspective de durabilité. En premier lieu, le new glocal, qu’on traduira par néo-glocal se réfère à la transition d’un commerce mondialisé vers des structures agricoles plus régionales et des circuits plus courts, des marchés domestiques et des modes d’approvisionnement plus transparents.
Autre axe majeur mis en évidence par la spécialiste autrichienne des tendances, la véganisation des lieux et des recettes. Les villes suisses ont un retard à combler sur Londres, Berlin ou New York, mais voient à leur tour essaimer les enseignes végétariennes ou véganes. Il s’agit souvent de lieux atypiques, voire insolites. Tables d’hôtes, traiteur avec trois-quatre chaises, comptoir avec vente à l’emporter, pâtisserie ou salon de thé, voire d’excellentes adresses exotiques dont l’offre est essentiellement, mais non exclusivement, végétale. Ils se nomment Café Mutin ou Be Kind Café à la Jonction, Ou bien encore Gives a Fork à Plainpalais, Envie Vegan à Carouge, Alive aux Eaux-Vives, Coco’s Cuisine en région genevoise; Café Racine, L’Echo, Vertig’O ou Luncheonette à Lausanne, Le Nid à Romont ou le Café des Argiles à Vevey, Ananda à Neuchâtel, Bliss, Secret Spot ou Chez Ginette à Fribourg, la Table de Lionel en Valais.
Végétalisation des recettes aussi. Car si certains se concentrent sur les soupes, les salades ou les plats fusion, la plupart misent sur une forme de Comfort Food: une cuisine qui rassure, des plats en forme de clins d’œil pour une clientèle essentiellement flexitarienne, qui a besoin de repères. Des burgers végétaux, du vrai-faux poulet ou émincé zurichois, des kebabs ou des tacos plant-based, des gâteaux d’inspiration classique sans œufs ni beurre. Un créneau d’une grande ingéniosité où l’illusion devient parfois bluffante. Alors que les meilleurs créateurs du moment sont déjà dans cette avant-garde verte, que l’on songe à Zineb Hattab (Kle et Dar, à Zurich), Nenad Mlinarevic (Neue Taverne, Zurich) ou Andreas Caminada et Timo Fritsche (Oz, Fürstenau), la dernière génération d’adresses véganes ou végétariennes s’inscrit ainsi dans une gamme plus accessible.
Au-delà des flexitariens que nous sommes tous, ou presque, que représente cette clientèle potentielle? Les végétariens seraient entre 3 et 5 % de la population suisse (dont moins de 1% de véganes): 3,5 % des hommes contre 5,3 % des femmes, en 2022, avec des différences marquées selon les âges, les régions, le niveau d’éducation, selon le dernier rapport de Swissveg. Qui souligne aussi que l’augmentation est continue, en dépit d’un léger fléchissement lié à la pandémie: «Ces cinq dernières années, le nombre de personnes végétariennes a grimpé d’environ 14 % par année. Si la tendance se poursuit au même rythme, dans cinq ans, une personne sur dix ne mangera plus de viande. Et dans douze ans, un quart de la population (25,3 %) aura rayé la viande de son assiette».
(Véronique Zbinden)