Urs Leuenberger travaille dans une fruitière villageoise au cœur du parc naturel du Gantrisch. Il est le nouveau héros des World Cheese Awards 2022.
Des parfums de foin, d’herbe et de prairies en fleurs, de cuir, une longueur et un fondant en bouche remarquables. Tels sont les arguments qui ont séduit les 250 membres du jury des World Cheese Awards 2022, début novembre, à Newport, au Pays de Galles. Ils ont élu le gruyère AOP de Vorderfultigen (BE) meilleur fromage du monde devant un gorgonzola italien.
D’abord prévu en Ukraine, ce concours est un des deux plus prestigieux du monde, mettant aux prises annuellement plus de 4000 pâtes de toute nature, typologie et fabrication, de tous les continents. Les gruyères s’y taillent régulièrement une large part de médailles. Ça se passait le 2 novembre dernier et une première sélection a décerné 98 médailles d’or, avant qu’un second tour retienne 16 finalistes. Tard dans la journée, le round ultime de cette 33e édition des World Cheese Awards 2022 a couronné la super pâte dure made in Vorderfultigen. Son artisan n’était pas là, mais représenté par l’affineur Gourmino et un membre de l’interprofession.
Son nom est Urs Leuenberger; c’est un héros modeste, la cinquantaine, regard bleu glacier, dégaine souple du marathonien et du coureur de trail qu’il demeure. Les amis et les gens du village l’ont fêté en hissant une banderole au mur de la fruitière avec un message de félicitations juste à côté du panneau Käserei/Fromagerie; ils sont nombreux à passer et s’arrêter aussi, dans cette commune d’à peine quelques centaines d’habitants et de vaches à peu près aussi nombreuses.
Urs fait visiter son royaume pour expliquer comment il travaille. Son domaine est à peine plus grand qu’un studio en ville; d’un côté, la cuve de fabrication, un ventre de cuivre géant qui recueille la traite de la veille et celle du matin. Toute cette blancheur qui n’en finit pas de se troubler sous l’effet des premiers ferments, essentiellement indigènes et issus de son propre petit-lait, puis la présure, amorçant la grande métamorphose. Trois mille litres ou un peu moins. De l’autre côté, le cliquetis des formes qui s’empilent, le bruit d’une centrifugeuse. Tout à l’heure, sept ou huit meules sortiront des presses, le petit-lait s’écoulant en larges flaques. Entre les deux, l’alchimie d’une transformation toujours un peu magique.
Urs n’imagine pas sa vie sans tout cela, lui qui a grandi dans la fromagerie familiale de Konolfingen, parmi cinq enfants, dont un autre est devenu fromager-affineur. Il fait un apprentissage à Herbligen, dans une structure encore plus petite qu’ici: «On produisait deux emmentals par jour, et on faisait tout à la main comme à l’alpage avec le chaudron, la toile de lin.» Il reprend ensuite la petite affaire de son père, à Unterlangenegg, entre Emmental et Oberland, durant quelques années, avant d’accepter un job pour un groupe de l’industrie agro-alimentaire. Sans joie. Jusqu’au jour où il apprend que la petite fromagerie villageoise de Vorderfultigen, gérée en coopérative avec les producteurs de la région, est à remettre. «Je n’aime pas l’idée de vendre, j’ai juste envie de les fabriquer, les fromages. Et puis je suis un solitaire, j’aime bien les petites équipes et je suis très indépendant: j’aime décider par moi-même, avoir mon autonomie.»
Urs Leuenberger, fromager à Vorderfultigen (BE)
Quand on lui demande ce qui a fait la différence dans un tel concours, le secret, Urs commence par évoquer une part de chance, dans un demi-sourire. «Il faut bien un peu de chance, mais au fond, tout commence avec la nourriture et la manière d’élever son troupeau, les étables, le soin et l’hygiène de toute la chaîne.» Et puis le lait change en permanence, avec la flore, la météo: le goût du fromage va aussi évoluer au fil des saisons. «Le lait de septembre 2021 dont est issu le gruyère vainqueur a bénéficié d’une herbe particulièrement riche à cette saison; à cette altitude, la flore est extraordinairement variée.»
Ce que va changer ce prix? «C’est une formidable reconnaissance, qui n’arrive qu’une fois dans une vie», estime notre héros modeste. Lequel n’entend pas changer ses habitudes pour autant. Vers midi, le gros de la production est terminée et il ira faire ses livraisons dans les cinq ou six commerces de la région qui proposent ses fromages. Pas envie de se mettre à la vente directe, Urs souhaite au contraire reprendre le sport un peu plus assidûment, lui qui a fait tous les trails et autres marathons de montagne, Davos Alpin, Bettmeralp, Gstaad ou Grindelwald.
(Véronique Zbinden)
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