On connaît le Piémont par ses cépages ou ses appellations. La DOCG Nizza, dans le Monferrato, consacre le passage du cépage, barbera, à la notion de cru.
C’est un détail, mais le cépage «barbera» se dit au masculin, à défaut de neutre en italien comme en français. Mais il devient féminin dès qu’il a fermenté, comme l’avait expliqué le «maestro» Luigi Veronelli. De fait, «la» barbera est, peut-être, le plus féminin des vins du Piémont. Et le nebbiolo, qui donne déjà les DOCG prestigieuses que sont les Barolo, Barbaresco et Roero, le plus masculin, même si cette appréciation genrée n’est guère défendable.
A Nizza, sur l’aile sud-est du Piémont, près d’Alessandria, les producteurs ont entamé, avec leur barbera, une mue semblable à celle du dolcetto de Dogliani, entre Alba et Cuneo. Dans les Langhe, sous le nom de dolcetto, les vignerons proposent des vins frais et simples. A Dogliani, tiré de collines plus en altitude, le dolcetto prend l’air de son terroir, plus rustique, plus trapu, plus tannique. De telle sorte que, depuis 2011, le cépage s’est effacé derrière le lieu. Et depuis le millésime 2018, la DOCG Dogliani recense 76 MGA – pour Menzioni Geografiche Aggiuntive.
A Nizza, on en est juste à l’étape précédente. En 2018, le journaliste Alessandro Masnaghetti a dressé une carte colorée, dont il a le secret, des divers lieux-dits recensés dans la commune et ses 17 voisines, à la demande de l’Association des producteurs de Nizza. A sa fondation, fin 2002, celle-ci ne groupait qu’une poignée de vignerons visionnaires. Aujourd’hui, ils sont 71, soit près de 90 % des metteurs en marché, à avoir adhéré. Pour le millésime 2014, l’association, aujourd’hui présidée par Stefano Chiarlo, héritier d’une des principales caves de Nizza, a obtenu le classement en DOCG, «dénomination d’origine contrôlée et garantie», le plus haut niveau de la hiérarchie des vins italiens. L’étape administrative suivante sera de faire valider une liste de MGA, synonyme italien de cru.
La barbera de Nizza est passée de la DOC Barbera d’Asti supérieur (2000–2007), à la DOCG homonyme (2008–2013), puis à la DOCG Nizza, dès 2014. Le vin, tiré aujourd’hui à un peu moins d’un million de bouteilles (pour un potentiel triple, contre 20 millions de barbera d’Asti et 13 d’Alba) s’est apprécié, pour une valeur moyenne de 22 euros, avec des vins vendus entre 15 et 60 euros la bouteille. A chaque palier, la législation a durci les conditions de la viticulture (100 % barbera), de l’élevage (6 mois d’élevage en bois). Le «disciplinaire» prévoit aussi la Riserva (12 mois d’élevage en bois) et la mention Vigna, étape précédant la définition légale des MGA.
Quand on compare les textes légaux fixant les «recettes» des deux vins, on remarque que le Dogliani doit afficher un degré d’acidité de 4,5 g/l minimum, tandis que celui de Nizza en exige 5 g/l minimum. C’est une particularité du raisin barbera: il n’a aucune peine à mûrir et à afficher des pourcentages d’alcool très haut, comme en 2018, avec de nombreux vins à 15,5 %, soit à la limite supérieure où le raisin fermente. A la peau délicate et peu épaisse, peu tannique, le barbera donne un vin agréable que l’acidité doit soutenir. Et si, de l’avis unanime des producteurs de Nizza rencontrés sur place, la qualité moyenne a augmenté, ici ou là, dans la dégustation, des tanins secs et marqués, dus à un excès de bois, comme une suavité discutable pour un grand vin rouge sec, ont été repérés.
On a dégusté une cinquantaine de vins, au Palazzo Crova de Nizza, dans les salles de l’œnothèque régionale, aussi siège de l’association des producteurs, musée du vin, restaurant à plats typiques et point de vente de 400 étiquettes de barbera de 150 producteurs de la région. On s’est limité aux millésimes 2017 et 2018.
Parmi les 2017, j’ai apprécié les remarquables Riserva d’Olim Bauda, Viamai de Corte San Pietro et Garesio (Gavelli), puis, un cran au-dessous, les Ceppi Vecchi de la Cantina di Nizza (grande coopérative), Marco Pesce (San Michele), Margherita de Cascina Garitina, Canto di Luna de Guido Berta, Quadrofillari de Beppe Marino. Parmi les 2018, en tête, Le Court de Michele Chiarlo, qui vient d’obtenir les Tre Bicchieri du guide Gambero Rosso 2022, comme le Tre Roveri de Pico Maccario (pour le 2019), alors que le 2018 développe des notes de cuir et de pruneau, d’un bon équilibre, pour 14,5 % d’alcool.
Pour 2018, Pontiselli de Coppo, plus concentré que le Bric del Marchese, du même producteur réputé, Lorella de la Vinicola Arno et Dedicato de Villa Giada. A table, grâce à leur acidité et à leurs tanins souples, ces vins qui se gardent facilement une dizaine d’années, et se bonifient s’ils sont (bien) élevés en fûts ou barriques, savent charmer sur de nombreux plats. Et pas seulement sur la cuisine piémontaise, un régal qui, de tout temps, attire les Milanais en goguette!
(Pierre Thomas)