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«Ma priorité va à garder mes trois étoiles»

Autour de sa table triplement étoilée du Schloss Schauenstein, à Fürstenau (GR), «la plus petite ville du monde» est en passe de devenir la plus gourmande.

  • Ouverte en octobre, la Casa Caminada offre des chambres, un restaurant régional, une boulangerie et une épicerie. Des dégâts d’eau ont toutefois nécessité la fermeture temporaire d’une partie des infrastructures. (Images Claudia Link)
  • Andreas Caminada a pris quatre mois sabbatiques l’an dernier.

HGH: Andreas Caminada, vous avez entamé l’année dernière loin des Grisons, en fermant votre restaurant…
Andreas Caminada: J’avais envisagé de faire une pause après dix ans d’activité, mais ça ne s’était pas concrétisé. Et nous rêvions d’un grand voyage en famille. Au bout de quinze ans, c’était le moment où jamais, d’autant que les enfants, à 2 et 4 ans, n’étaient pas encore en âge scolaire. Nous avons donc passé quatre mois fabuleux à voyager, à nous retrouver en famille pour découvrir les Caraïbes, la Colombie, San Francisco et la Californie, la Nouvelle-Zélande et la Thaïlande.

Comment avez-vous géré cette fermeture? 
Nous avons trouvé une solution pour chacun des employés; certains sont notamment allés travailler à nos autres adresses, Igniv à Bad Ragaz ou St Moritz. J’ai quitté 32 collaborateurs, et, pour ma plus grande fierté, 34 me sont revenus, j’en suis très heureux. 

C’était l’occasion de découvrir quelques belles adresses lointaines aussi?
Nous avons bien sûr profité de visiter quelques restos, mais ce n’était pas vraiment le but du voyage.

Depuis votre retour, Schauenstein est un vaste chantier: l’heure de mener à bien plusieurs de vos autres projets?
En 2017, nous avons eu l’occasion de racheter la maison privée en face du château, sur laquelle nous lorgnions depuis six ans et d’y aménager six chambres supplémentaires. Elles s’ajoutent aux trois chambres que nous avions déjà, mais la Casa Caminada est plutôt un Guest House, une simple pension. Je ne voulais pas d’un boutique-hôtel, mais au contraire un bâtiment qui s’intègre dans le paysage, qui s’inscrive naturellement dans le décor et l’architecture locaux. L’architecte, Gion Caminada, est aussi mon cousin: l’ancrage régional est très important pour moi, qu’il s’agisse des produits, des matériaux ou des gens.

On peut aussi y manger, bien entendu…
Au rez, le restaurant propose une cuisine simple, à base de produits locaux et de recettes traditionnelles, pour une trentaine de couverts. On y mange des pizzokels, du goulasch, des capuns, le pain de poires, etc. Il y a aussi un coin épicerie où nous vendons nos produits et la boulangerie, où l’on confectionne le pain servi dans nos restaurants et qui tient aussi lieu de boulangerie du village: on y fait une dizaine de pains différents et la tresse du dimanche. Nous sommes ouverts depuis quatre semaines mais nous venons d’avoir des dégâts d’eau, qui s’ajoutent au chantier. En bas, au sous-sol, un food lab, local qui va surtout servir à différents essais de fermentation, entre autres, et à stocker les conserves; s’y ajoutent une cave d’affinage à fromages et une belle cave à vins. Entre-temps, Remisa, qui était notre seconde table, est devenue une annexe pour les cours, les groupes, divers événements ou tables d’hôtes.

On dirait que Fürstenau, dite la plus petite ville du monde, est vraiment en passe de devenir la plus gourmande.
Oui, le château est merveilleux, c’est de la beauté mais c’est aussi du luxe. Tout autour, il y a la vraie vie, la vie et le désordre qu’amènent les chantiers, cette patine qui est une autre forme de beauté. L’idée derrière tout ça, c’est de ramener le village à la vie, d’amener davantage d’activités, d’artisanat et donc d’emplois dans la région. Le village compte quelque 290 habitants. En contrebas de la route, il y aura bientôt notre maison d’habitation. Et juste là, entre château et bistrot, cette petite cabane, dont on aurait pu faire un parfait sauna, où l’on a finalement installé la rôtisserie: tout notre café est torréfié ici.

Il y aussi votre concept Igniv, qui fait des petits?
Oui cela marche très bien, les gens aiment beaucoup le concept; après le premier Igniv ouvert en 2015 à Bad Ragaz, nous avons ouvert à St Moritz avec le même succès.

Et votre fondation destinée à soutenir les jeunes talents?
La Fondation Uccelin se porte bien et grandit. Depuis le lancement du projet, nous avons pu accueillir 20 jeunes passionnés par les métiers de la cuisine et du service et les faire voyager. Nous avons conclu un nouveau partenariat avec The Smiling Gecko, une ONG cambodgienne qui s’occupe des enfants des rues, et nous proposons désormais aussi aux jeunes de la fondation de travailler quelque temps avec eux. Récemment, j’étais à Bangkok, Singapour et Kuala Lumpur avec ces jeunes, notamment pour cuisiner avec Gaggan Anand (le très encensé chef d’origine indienne basé à Bangkok) et nous avons pu emmener certains d’entre eux avec nous.

Au printemps 2018, vous avez été désigné meilleur cuisinier d’Europe par le site OAD (Opinionated about Dining). Que vous inspirent les listes et les classements?
Le problème, c’est que plus ils sont nombreux, moins ils ont d’impact et plus ils perdent en légitimité. Autre effet pervers des classements, pour y figurer, cela implique de voyager et de se montrer hors des frontières. Si tu ne le fais pas, tu n’as pas de votes. Ce n’est pas ma priorité. Si j’ai la possibilité de participer à des shows ou que je suis invité à des Salons pendant des jours de congé ou des vacances, sans que cela ait un impact sur mon travail, pourquoi pas; sinon je préfère rester ici. Ma priorité va plutôt à garder mes trois étoiles Michelin et ma note de 19/20 au Gault & MiIllau. Pour prendre l’exemple du classement des World’s 50 Best Restaurants, je figurais à la 72e place en 2017, alors qu’un an plus tard, en 2018, je parviens à la 47e, après avoir fermé durant quatre mois.

(Propos recueillis par Véronique Zbinden)