Patrick Regamey, médecin généraliste à Crans-Montana, se hisse aussi au firmament des vins suisses avec son domaine Histoire d’Enfer. Portrait d’un passionné au nez absolu.

Les vignes du domaine Histoire d’Enfer sont éparpillées sur douze hectares de grands terroirs valaisans calcaires.
L’aventure du domaine Histoire d’Enfer éparpillé sur douze hectares de grands terroirs valaisans calcaires doit beaucoup au docteur Patrick Regamey. Histoire d’Enfer brille aujourd’hui de mille feux, reconnus par le style inimitable de ses nectars très précis. En cette année 2025 le guide Parker vient même de classer deux de ses vins dans la catégorie «exceptionnelle». Mais l’histoire de Patrick Regamey, passionné de vins au point de fonder sa propre cave au nom mystérieux et dantesque, Histoire d’Enfer, surprend encore. Tentons de brosser le portrait de cet homme insaisissable, hyperactif, drôle, débordant de passion pour le vin. Admiratif de l’amour des grands nectars des autres, il n’hésite pas à sortir une grande bouteille planquée sous la table lors du Swiss Wine Tasting, à Zurich, en 2020, et l’on découvre alors la virtuosité de son humagne rouge, florale et élégante.
Sur le lien entre la médecine et le vin, Patrick Regamey sourit: «Jusqu’à peu, les médecins défendaient encore le plaisir de petites quantités de vins. Mais évidemment on ne peut pas nier les problèmes d’hypertension, de cholestérol et même le développement de certains cancers. En résumé, j’adore le vin, mais j’en bois peu. Il m’arrive seul au restaurant de ne pas finir une grande bouteille sur un très grand millésime, cela peut étonner le sommelier.» Patrick Regamey reste avant tout un amoureux fou du pinot noir, qu’il découvre, dans les années 1990. Il raconte sa rencontre avec Jacques Perrin, fondateur de Cave SA et philosophe ainsi: «Je lui servais de chauffeur lors de virées magistrales en Bourgogne.» Voilà comment Jacques Perrin définit l’Enfer de la Passion aujourd’hui. «Des cinq cuvées de pinot, Passion est sans doute la plus à destination des grands amateurs, voire des puristes. Vinifiée en grappes entières, comme aux domaines Leroy ou de la Romanée-Conti.» L’approche parcellaire du pinot noir en Valais de Patrick Regamey se distingue de celle de nombre d’autres producteurs, qui privilégient le côté solaire et alpin. Sur son Passion de l’Enfer, il recherche la minéralité et se réjouit de découvrir des notes de safran. Le Calcaire absolu dont il produit que 800 bouteilles et qu’il élève uniquement en bois neuf pousse les curseurs du grand vin à la noble austérité encore plus loin avec une incroyable bouche de balsamique et de myrtille. Il aime profondément la Bourgogne, mais on reconnaît aussi son influence du côté des Trois-Lacs. Il avoue du bout des lèvres son admiration pour certains vins de Jacques Tatasciore et plus franchement pour ceux de Jean-Daniel Giauque «on ne le dit jamais assez».
Patrick Regamey peut aussi se mettre dans des colères noires comme du pinot, par exemple quand un vin part en vinaigre, et il n’oublie jamais les trahisons. Il déboussole alors son monde. Très fidèle en amitié, attachant, disponible en tout temps pour un diagnostic, il fait un peu penser à un autre délicieux et génial trublion de Martigny, Léonard Gianadda. La colère passe vite. La passion débordante le rattrape, et, dans un élan joyeux, il emmène tout le monde au sous-sol en compagnie d’Alexandre Roduit, son très sérieux et zen maître de cave, pour déguster les derniers millésimes encore en fûts et en cuves. Devant une barrique de cornalin, qu’il considère comme un grand cépage, il s’exclame: «Voilà une bête, plein en bouche.» Julien-François Nebel, son fidèle collaborateur en marketing et communication compétent et enthousiaste dit ceci de lui: «Patrick sait donner des bons conseils, il peut être très positif comme extrêmement critique. Dans le monde du vin c’est un autodidacte passionné qui a été très écouté au grand jury européen ou comme consultant. Il nous bluffe toujours sur des dégustations à l’aveugle.»
Patrick Regamey, Médecin généraliste et passionné de vin
Pourtant, le docteur Regamey le confesse volontiers; jusqu’à 1984, il considérait le vin «juste comme un breuvage acide». Il se passionnait plutôt pour la cueillette des champignons, l’invention de la prise-minuterie et la recherche contre le cancer. «J’ai gagné beaucoup d’argent avec la première et reversé beaucoup à la seconde», raconte-t-il. Patrick Regamey exerçait comme nez dans le monde du parfum. «J’ai eu le déclic avec Château La Tour 1970 et j’ai pensé que renifler un grand vin devenait plus intense qu’un parfum.» En collaborant avec le vigneron Jean-Michel Novelle, il découvre l’importance des levures indigènes dans la conception d’un vin: «Pour faire court, si on met une levure champenoise dans du Chasselas, on trouve des goûts de champagne.»

De g. à dr., Julien-François Nebel (marketing et communication), Alexandre Roduit et Ludovic Regamey (chefs de cave), et Patrick Regamey.
Il conseille aussi le domaine Pago de los Capellanes à Ribeira del Douro, en Espagne, et sait l’importance de la tonnellerie: «On a travaillé le même vin sur 800 fûts neufs de 8 tonneliers différents.» Mais sur le millésime 2024 son palais particulier peut partir à la recherche de l’umami sur un païen: «J’aime la longueur, ce côté crayeux qui me fait penser à des Corton Charlemagne de Bourgogne.»
(Alexandre Caldara)