Le Vaudois a surmonté un AVC en 2024. Il raconte sa renaissance humaine et culinaire au Mexique, ainsi que sa rencontre avec le chef Iván Fernando Del Razo.
«J’ai senti qu’on me donnait une deuxième chance et je l’ai saisie à pleines mains.» A l’autre bout du monde ou presque, dans la ville de Tlaxcala, capitale éponyme de l’Etat situé près de Mexico, Pablo Reyes Del Canto est devant la caméra de son ordinateur. Il parle vite, rit souvent et se raconte avec la bonhomie et la franchise qui le caractérisent. En janvier 2024, ce Lausannois d’origine chilienne, bien connu de l’Amicale vaudoise des cuisiniers, membre aussi de la Société suisse des cuisiniers, a été terrassé par un AVC. Trois mois d’hôpital, une paralysie du côté droit, puis une rééducation stricte. «J’ai repris le sport, changé de rythme. La vie que je menais n’était pas saine, j’ai tout revu de A à Z», confie-t-il. Aujourd’hui, il évolue à proximité du volcan La Malinche, et non plus face aux Alpes, et sa nouvelle vie au Mexique, en plus de symboliser sa renaissance, est le prétexte tout trouvé pour construire un pont entre les cultures helvétique et tlaxcaltèque, sous l’impulsion de Berenice Ayala Lobato, elle-même très impliquée dans le projet.
Graphiste de formation, puis videur à La Ruche, Pablo entre en cuisine à 27 ans. Il se forme dans les règles de l’art, passe par le Royal Plaza à Montreux et plusieurs maisons bernoises. A Lausanne, on le retrouve ensuite au piano du Perroquet Bar y Cocina, puis à l’Ecole de jazz et de musique actuelle (EJMA), dans le quartier du Flon. Il lance aussi sa gamme de boissons artisanales, Pompom. Hyperactif assumé, il cumule les projets, jusqu’à ce que son corps le contraigne à l’arrêt. Et ce n’est pas un hasard si sa reconstruction s’est faite à Tlaxcala.
Pablo Reyes del Canto, chef de cuisine et entrepreneur
Lors d’un premier séjour en 2023, Pablo tombe amoureux de cette région sinon méconnue, du moins à l’écart des grands circuits touristiques. Le climat tempéré, les forêts de pins, les morilles et les fromages, tout cela lui rappelle le pays où il s’est installé à l’âge de six ans avec ses parents. «J’ai halluciné, on aurait dit une petite Suisse. Même la brume au lever du jour m’était familière», sourit-il. De retour en 2024, il s’y installe définitivement. La rencontre qu’il fait grâce à Berenice avec Josefina Rodríguez Zamora, actuelle ministre du tourisme et figure de proue du renouveau culturel mexicain, l’aide à poser les premiers jalons. Et surtout, il croise le chemin d’un chef prometteur, avec qui il noue de profonds liens d’amitié: Iván Fernando Del Razo.
Né à Querétaro, enraciné à Tlaxcala, Iván est un passeur de mémoire culinaire. Il a fait ses armes au Noma, le restaurant mythique de René Redzepi, à Copenhague, où il est invité au Nordic Food Lab dans le but de contribuer à la recherche sur un sujet qu’il connaît parfaitement, les insectes comestibles, très présents dans la gastronomie tlaxcaltèque. «C’est dans notre culture ici, on les cuisine comme d’autres les champignons et il y a des saisons, comme pour les fruits et les légumes», explique-t-il. Fort de son expérience, notamment avec les fourmis et les larves, il contribue à l’ouvrage On Eating Insects, désormais référence mondiale en la matière. A son retour au Mexique, il fonde Mexko, un restaurant avant-gardiste qui valorise les produits locaux (maïs bleu, amaranto, épazote, etc.) à travers une carte courte et soignée.
Entre Iván et Pablo, la connexion a été immédiate. Elle s’est tissée dans une estime réciproque et une fascination partagée pour les terroirs oubliés. Pablo parle d’Iván comme d’un chef rare, «un regard différent, une sensibilité née d’ailleurs». Iván, lui, voit en Pablo un allié inattendu venu de l’autre bout du monde, mais animé par la même volonté de faire rayonner Tlaxcala. «Ce qui nous lie, dit-il, c’est une attention au détail et une vraie envie de transmission.»
Depuis leur rencontre, les collaborations se sont multipliées. La dernière en date? Un menu dégustation mêlant d’une part raclette, viande des Grisons et chocolat suisse au praliné de vin jaune, et, d’autre part, pain au maïs bleu fermenté et touches d’épazote. Le 1er août prochain, à l’occasion de la fête nationale suisse, le duo remettra le couvert avec un dîner festif au restaurant Mexko, en présence de la communauté suisse, d’élus et de professionnels de la gastronomie. Et l’échange ne s’arrêtera pas là: le chef Benjamin Le Maguet, à la tête durant trois ans du restaurant situé aux Evouettes (VS), est attendu prochainement à Tlaxcala pour une résidence qui s’annonce intense, articulée autour de nombreuses sessions en cuisine et découvertes de produits locaux. En retour, Ivan partira quelques semaines en Suisse, notamment pour découvrir les vendanges en Lavaux, se livrer à différentes expérimentations avec Benjamin et explorer les vins, les fromages et les forêts des cantons de Vaud et du Valais.
Ivan Fernando del Razo, chef de cuisine, Restaurant Mexko
En décembre, un autre jalon s’ajoutera à cette passerelle entre deux mondes: Pablo pilote actuellement l’organisation d’un grand marché de Noël à Tlaxcala, inspiré du Bô Noël lausannois, au sein duquel sont prévus des chalets démontables en bois et des stands artisanaux où seront proposés des menus gastronomiques conçus avec des écoles locales. «Je veux montrer qu’on peut faire quelque chose de beau, de structuré, de généreux. Ce sera un événement où l’on mangera, mais aussi où le savoir se partagera», dit-il.
Last but not least: l’hôtel San Francisco, l’un des plus réputés de Tlaxcala, a confié à Pablo l’organisation d’une quinzaine culinaire française en juillet. L’occasion de rendre hommage à la tradition gastronomique hexagonale, en y injectant quelques clins d’œil helvético-mexicains. Et de prouver, si besoin, qu’il est devenu un passeur à part entière.
(Patrick Claudet)