Déjà passée par Carouge, mais aussi par le groupe de luxe Peninsula ou la Riviera vaudoise, la cheffe italo-grenobloise reprend la table étoilée.
Serge Labrosse avait fait l’ouverture, Yoann Caloué le sel et le charme du lieu durant plusieurs années, y accrochant une étoile Michelin, avant d’annoncer son départ l’été dernier. Au lendemain de la pandémie et ses incertitudes, qu’allait-il advenir du Flacon, une des valeurs sûres de la gastronomie genevoise? Ravie de son choix, la propriétaire de l’établissement carougeois Marie-Laure Chuard a misé sur un talent neuf, qui n’est toutefois pas totalement inconnue, puisqu’elle a effectué une partie de sa formation ici même.
Lucrèce Lacchio est issue d’une famille grenobloise aux racines italiennes. Elle raconte être venue naturellement à la cuisine, d’abord inspirée par l’exemple de son frère aîné César, passé chez Anne-Sophie Pic et Carlo Crisci et qui lui apprenait, petite, à faire les choux à la crème; César est d’ailleurs lui aussi installé en Suisse romande, désormais à Lausanne. Là-dessus, la jeune Grenobloise a ajouté à son bac pro en cuisine un CAP en pâtisserie.
Elle quitte ensuite le Vieux Continent pour rejoindre un établissement de luxe du groupe Peninsula, à Chicago. Un an, soit la durée de son visa, avant de revenir travailler ici même, à Carouge, auprès de Serge Labrosse, puis de Yoann Caloué, cinq années durant. Lucrèce rejoint ensuite l’équipe de Mathieu Bruno à Chardonne (Là-Haut), où elle restera encore quatre ans. Deux styles et deux chefs radicalement autres, un peu le grand écart entre une pure cuisine de produits et une approche extrêmement technique.
Au Flacon, entre-temps, le décor a juste été légèrement rafraîchi: pierre de taille, rouge latérite et banquettes design qui réussissent à être cosy et moelleuses, quelques fleurs et la cuisine transparente comme un aquarium où suivre les finitions des assiettes. L’accueil est de même savamment décontracté. Tout le reste ou presque a changé ces dernières semaines.
La jeune cheffe ne s’est pas contentée de reprendre un propos, une ligne ou même les standards de son prédécesseur. Autour d’elle, une nouvelle (mini)brigade de choc, avec certains pros plus âgés qu’elle, reconstituée à la pire des heures, au lendemain de la pandémie qui a vidé les cuisines et lessivé les vocations. Une nouvelle équipe et un nouveau réseau de fournisseurs et de beaux produits, aussi locaux que possible, qu’elle a choisis. La carte était aussi une page blanche, à redessiner entièrement. Elle s’articule aujourd’hui autour d’une dizaine de plats, miroir d’un imaginaire gourmand.
Un défi un peu vertigineux pour un premier job de cheffe, à 28 ans? Chignon haut perché et œil pétillant, un mètre cinquante-huit d’énergie et de vivacité, la Grenobloise est une fonceuse. Pas vraiment le temps d’avoir des sueurs froides, il fallait ouvrir, c’est tout. «La cuisine m’a choisie, je ne sais et ne voudrais rien faire d’autre», lance la cheffe. Rien d’autre que suivre les saisons et se laisser guider par leur tempo, remplacer un plat par les Saint-Jacques qui arrivent, l’agneau par le chevreuil, avec une touche de pomme, d’oignons doux.
Lucrèce Lacchio suit sa voie et on devine le plaisir qu’elle éprouve à mettre de la couleur, du contraste dans ses assiettes, une belle vivacité. Une cuisine dans la ligne de son devancier, mais aussi, incontestablement, une signature qui s’affirme, prometteuse. A la question de ses modèles ou des chefs qu’elle apprécie particulièrement, Lucrèce cite d’emblée Andreas Caminada, chez qui elle a fait une expérience éblouissante et dont elle admire aussi les engagements.
(Véronique Zbinden)