La lauréate du Grand Prix Joseph Favre succède à Lionel Rodriguez après un parcours éblouissant, de Montreux à Crissier, en passant par les podiums de plusieurs concours.
On l’avait aperçue pour la première fois, regard bleu métallique hyper concentré sous la haute toque emprisonnant une chevelure brune, silhouette vive et menue au côté de Franck Giovannini, dont elle fut l’excellente jeune commise lors des deux finales du Bocuse d’Or. C’était en 2010-2011 et Cécile Panchaud avait déjà remporté les titres successifs de Meilleure apprentie vaudoise, romande puis suisse, avant de s’illustrer avec une troisième place au Trophée Taittinger. Entre-temps, la Vaudoise a ébloui le jury du deuxième Grand Prix Joseph Favre à Martigny, fin 2018 – à commencer par son président triplement étoilé, le même Franck Giovannini évoquant « le triomphe du goût et de la gourmandise ». Waouh.
Mais reprenons. On rencontre Cécile Fontannaz – oui, elle s’est mariée en 2019 – dans son confinement de charme du bout du lac. Un appartement rénové avec goût dans une maison de village, grande table, bois et pierre brute, grande ouverture sur le vert. Une cheminée aussi, sur laquelle s’alignent les trophées dont la statuette dorée à l’effigie du pionnier helvétique de la gastronomie française, auteur du fameux Dictionnaire universel de cuisine pratique. Un univers sobre et bucolique qui ressemble à la jeune cheffe de 28 ans, qui dit avoir appris dans la même journée le départ de Lionel Rodriguez et le souhait de la direction des Trois Couronnes qu’elle lui succède à la tête des cuisines.
La Vaudoise est née à Châtel-Saint-Denis, a grandi à Ollon (VD) au sein d’une famille moyennement portée sur la cuisine – maman infirmière, papa menuisier – mais avec une grand-mère cordon bleu qui sera en quelque sorte sa mentor. «Elle nous a habitués aux grandes tablées, au pain et à la tresse des dimanches matins, aux bricelets et aux confitures maison.» L’enfance de Cécile a aussi le goût des bons produits de la ferme d’un oncle, chez qui elle participe aux vendanges, cueille les fruits, apprend à traire les vaches.
Son parcours initiatique commence à Montreux, au sein d’une des premières volées de l’Ecole professionnelle: «On devait être cinq ou six filles sur 25 et la plupart sont parties dans la diététique ou la restauration collective», pas prêtes à affronter le parcours d’obstacles de la gastronomie. Pendant toutes ses années au sein de grandes brigades, faut-il le préciser, Cécile sera une des très rares filles. Mais sur les questions liées à la parité, elle dit aussi n’avoir jamais vraiment réfléchi, se contentant de «faire les choses comme elle a envie de les faire sans se mettre de limite: ça n’a jamais été un enjeu».
Elle passe alors par les cuisines de Christophe Rod, alors à Yvorne, avant de rejoindre celles de Crissier, époque Philippe Rochat – repérée par Franck Giovannini qui cherche un commis pour le Bocuse d’or. Après deux ans, elle rejoint les Trois Couronnes, à Vevey, dont elle apprécie la petite équipe et l’atmosphère plus familiale: commis, elle passe chef de partie, puis sous-chef et depuis quelques jours, la voilà cheffe en semi-confinement.
Pour avoir passé six ans aux côtés de Lionel Rodriguez, Cécile est familière de sa belle cuisine ensoleillée et classique, mais entend s’orienter davantage vers les terroirs suisses: «Le concept de cuisine de l’Arc alpin développé par Lionel ne changera pas fondamentalement. Je suis très attachée à ce patrimoine commun à toute la chaîne des Alpes, qui s’étend aussi à l’Autriche, à la Riviera et à l’Italie, mais il est vraisemblable que la carte se recentre pour proposer par exemple de petits malakoffs à l’apéritif ou un papet vaudois un peu revisité.» Voire les plats mijotés, les pièces entières style épaule d’agneau confite doucement et la cuisine familiale que Cécile adore – sans oublier les standards telles les perches du lac que la clientèle redemande. Ou «la folie potagère», un plat imaginé avec Lionel pour une quinzaine suisse à Montréal, avec des œufs de cane confits à l’ail noir et plein de légumes qui changent au fil des saisons…
Ses plats signatures, sinon? Cécile cite les atriaux d’épaule de chevreuil, farce au foie gras du Grand Prix Joseph Favre ou les pigeons en deux cuissons aux herbes du jardin, suprêmes rôtis, cuisses confites, qu’elle a apprêtés récemment pour des amis. A-t-elle des modèles, des chef/fes qui la font rêver ou la motivent à créer? «J’ai aimé la cuisine de Gérard Rabaey, ou plus récemment ce que font Didier de Courten, Damien Germanier en Valais, Jean-Sébastien Ribette à Vevey.» Sa cantine? L’Etoile à Noville, «une cuisine familiale comme je l’aime, qui fait en saison un gibier extraordinaire avec les garnitures traditionnelles».
Les concours? Ils lui ont apporté davantage de confiance en soi et d’expérience. Des qualités précieuses à l’heure de diriger une équipe. «Je vis ce tournant avec un mélange d’envie et d’appréhension, le bonheur de prendre des décisions moi-même, de pouvoir répondre aux questions, tout en sachant que sans l’équipe on n’est rien… Et j’ai aussi envie de renforcer le lien aux producteurs.» Pour le reste, on n’est pas étonné d’apprendre que cette amoureuse des montagnes et des calmes paysages helvétiques est aussi une adepte de l’escalade, qu’elle a fait le Grand Muveran entre autres 4000 et plusieurs vias ferratas. «Bien sûr, j’ai moins de temps et de condition physique, mais le confinement m’aura permis de refaire beaucoup de marche.»
(Véronique Zbinden)