De l’Hôtel des Bains d’autrefois aux tables d’aujourd’hui, Henniez poursuit son histoire avec le soutien de la branche.
Henniez fête ses 120 ans et on pourrait s’attendre à partir sur les terres broyardes de la maison fondée en 1905 pour tenter de dérouler le fil de sa longue histoire. Mais c’est sur les hauts de Lausanne que l’enquête commence, plus précisément à Vers-chez-les-Blanc, où Nestlé abrite son plus important centre de recherche. Le grand bâtiment, ou plutôt l’entrelacement de structures posées au milieu de la verdure, a des allures de labyrinthe. Depuis les grands espaces ouverts qui s’ouvrent dès l’entrée, on longe de longs couloirs jusqu’à une salle où Lisane Lavanchy, historienne et archiviste chez Nestlé, présente un petit échantillon des volumineux fonds qu’elle a patiemment explorés à l’approche de l’anniversaire.
Face à ces archives, le regard se pose d’abord sur les images: photographies de l’ancien Hôtel des Bains inauguré dès le XVIIe siècle, vues en noir et blanc de l’usine d’embouteillage, menus et sets de table arborant le logo qui a tout compte fait peu varié au fil des ans, et qui fait resurgir des souvenirs d’enfance, à l’instar de ces moments où l’eau d’Henniez se posait naturellement sur les tables des restaurants où l’on allait en famille. Une publicité Swissair attire aussi l’attention: en 1984, l’introduction des bouteilles en plastique a permis à la compagnie d’embarquer un passager supplémentaire par vol, une anecdote souvent reprise à l’époque et devenue presque cocasse aujourd’hui, à l’heure où les contenants en PET suscitent la méfiance.
Comment raconter l’histoire d’Henniez? Le plus simple est encore d’écouter le récit de Lisane Lavanchy qui passe en revue les archives de manière chronologique afin de déplier une longue et fascinante histoire. Avant d’être une marque, Henniez a été un lieu au cœur de la Broye vaudoise, là où depuis des siècles les eaux souterraines traversent les couches de molasse. On dit que les Celtes buvaient déjà cette eau claire et que les Romains l’avaient baptisée du nom d’Ennius, un citoyen possédant un domaine dans la région.
Au XVIIe siècle, l’endroit devient un lieu de cure prisé, explique Lisane Lavanchy. En 1688, un médecin du nom de Pierre-François Chauvet y fonde l’Hôtel des Bains. La bourgeoisie lausannoise et fribourgeoise vient s’y délasser dans une atmosphère champêtre. On danse, on joue aux quilles, on respire l’air pur. «Rappelons qu’à l’époque, le fait de boire de l’eau était un acte médical, presque suspect. Mieux valait un peu de vin ou de bière légère pour s’hydrater», rappelle l’archiviste. C’est le docteur Virgile Borel, en 1880, qui apporte à Henniez une reconnaissance scientifique. Il commande une analyse chimique au laboratoire cantonal; l’eau est déclarée «minérale», on lui reconnaît des vertus et on assure qu’elle contribue à purifier l’organisme. Le chimiste Amann reprendra ce travail dès 1908, ses conclusions apparaissant sur les étiquettes de 1909, 1924 et 1958. En outre, Ernest Chuard, futur président de la Confédération, la qualifiera d’«eau précieuse».
C’est dans cet élan que naît, en 1905, la Société des Bains et Eaux d’Henniez. Pour la première fois, l’eau quitte le domaine thermal pour être mise en bouteille dans des bâtiments distincts de l’hôtel. On parle alors de «cure à domicile»: l’eau d’Henniez se vend en pharmacie, elle est même expédiée dans toute la région. Autour du village, les infrastructures se développent, que l’on pense aux ateliers, entrepôts ou autres circuits de dépôt, ce qui transforme Henniez en pôle industriel.
Au début du XXe siècle, la marque se structure. Sous l’impulsion d’Henri Pahud, elle s’étend à l’échelle nationale, établissant des listes de prix et participant à des expositions. L’apogée se situe autour de 1914, mais la Première Guerre mondiale y met un terme. «Au lendemain du conflit, Henri Pahud relance la dynamique à travers la modernisation des installations, la rationalisation des ventes et les premiers efforts d’internationalisation», résume Lisane Lavanchy. En 1928, Henniez reçoit plusieurs distinctions, dont cinq médailles d’or, notamment à Paris et Bruxelles, et s’impose comme la première eau minérale distribuée dans toute la Suisse.
Quid de la communication? Elle devient rapidement l’une des armes d’Henniez. En particulier dès le moment où surgit en 1930 un concurrent, à savoir un entrepreneur local qui profite de la notoriété du nom pour lancer Henniez Santé (racheté en 1978). «L’entreprise a compris très tôt qu’il fallait donner une image à son eau», explique en substance l’archiviste. Ses affiches, menus et serviettes vantent une Suisse idéalisée, un monde où la pureté alpine rivalise avec l’élégance d’un hôtel de cure transformé en emblème national. Dans le même temps, le site d’Henniez devient un ensemble industriel à part entière. Des bâtiments d’embouteillage modernes remplacent les structures d’origine, tandis que le stockage et la distribution s’organisent à grande échelle.
A partir des années 1980, l’entreprise entreprend un vaste programme de reboisement et de protection de la zone de captage: 120 hectares classés, 70 000 arbres replantés, aucun pesticide ni engrais artificiel. Après le rachat par Nestlé en 2008, le programme ECO-Broye se déploie sur 2400 hectares, où il associe les agriculteurs, forestiers et communes. «L’eau qui est embouteillée aujourd’hui a mis dix ans à traverser le sol. Ce qu’elle contient est le reflet de ce qu’il y avait en surface il y a une décennie», rappelle Lisane Lavanchy. D’où l’attention portée à la biodiversité, à la diversité des essences et à la vitalité des sous-bois. En 2016, la construction d’une centrale de biogaz agricole transforme le fumier local et le marc de café de Nespresso en énergie renouvelable. Puis, en 2022, c’est au tour de la certification VAUD+.
Historiquement très liée à la gastronomie, Henniez reste la marque d’eau minérale la plus présente dans la restauration suisse, selon Nestlé Waters. En 2022, elle a relancé l’opération «Henniez vous invite au restaurant», distribuant un million de francs sous forme de bons pour encourager le retour des clients après la pandémie, à la manière d’un pari sur l’avenir.
(Patrick Claudet)