«Le refettorio est menacé à Genève»

Malgré un bilan remarquable, les jours du resto solidaire des Charmilles lancé par Walter el Nagar semblent comptés.

Walter el Nagar déplore le manque de soutien dont souffre le Refettorio. (DR)

Walter el Nagar, on apprenait il y a quelques jours que le Refettorio, qui a servi 13 000 repas gratuits le soir durant les 11 premiers mois de 2025 à Genève, traverse une phase critique. Quelle est la situation actuelle?

La situation n’a pas beaucoup changé depuis la fin octobre, ou depuis la fin juin, lorsque nous avons identifié clairement le problème. Ma lettre ouverte et mes interventions médiatiques ont alerté et notre base de soutien s’est mobilisée pour garantir la continuité de ce service essentiel. Pour le reste, rien de spectaculaire: les autorités se retranchent dans leur tour d’ivoire, certaines campant sur des positions étranges et hypocrites.

Que demande votre lettre ouverte publiée sur les réseaux sociaux? Quelles ont été les réactions et voyez-vous un signe d’espoir pour l’avenir?

Ma lettre demande aux autorités, en particulier à la Ville, de reconnaître le Refettorio pour ce qu’il est: une activité d’utilité publique offrant un service essentiel à la population confrontée à la précarité alimentaire. Je ne demande pas qu’on embrasse totalement une initiative innovante, unique au monde, à la pointe dans presque tout ce qu’elle entreprend et qui ne pouvait naître qu’à Genève. Non. Je demande simplement que le Refettorio soit traité comme les autres organisations. La Ville couvre 25 à 30 pour cent du budget de nombreuses associations. Nous, à peine 3 pour cent. Il y a manifestement un problème.

Quel est le budget annuel du Refettorio?

Environ un million de francs, les salaires et le loyer étant les principaux postes.

Combien de bénévoles ont donné de leur temps en 2025?

Trois cent douze bénévoles pour un total de 3450 heures, auxquels s’ajoutent une multitude d’autres collaborateurs. En tout, environ 400 personnes, avec des niveaux d’engagement très variés. Certains quelques heures, d’autres à temps plein, et, dans mon cas, littéralement jour et nuit.

Avez-vous reçu des visites de représentants de la Ville ou du Canton en 2025?

Alfonso Gomez, conseiller administratif en charge du Département des finances, de l’environnement et du logement, nous a toujours soutenus et a au moins la décence de se montrer, même les mains vides, une fois par an. Marjorie de Chastonay est venue le 18 juin pour la célébration du droit à l’alimentation. Nous n’avons pas vu le conseiller d’Etat chargé du Département de la cohésion sociale Apothéloz depuis deux ans. Enfin, la maire Cristina Kitsos n’a jamais réussi à venir pour vérifier le bien-fondé de ses préjugés et s’est même désabonnée de notre newsletter. Par moments, j’ai l’impression d’être à Benevento chez les vieux notabili, pas à Genève.

Vous êtes dans le réseau des Refettori de Massimo Bottura. Peuvent-ils aider Genève?

Il n’est venu que pour l’ouverture et une fois en passant acheter un tableau. Nous avons en revanche été pris à partie par le responsable d’un autre Refettorio, à la suite de notre position claire contre la situation en Palestine. Tout ce qui brille n’est pas d’or.

Existe-t-il à Genève d’autres lieux qui servent au moins un repas chaud par jour aux personnes sans abri?

Plusieurs lieux existent, mais ouverts seulement à midi. Voire deux fois par mois le soir. Au total, 500 à 700 repas sont distribués le midi et 80 le soir, tous au Refettorio. Je m’attendais à ce que les autorités nous demandent d’en ouvrir un deuxième, pas qu’elles mènent une guérilla pour nous faire fermer.

Quelles organisations orientent les personnes en difficulté vers vous?

Les plus efficaces sont Carrefour Rue & Coulou, Armée du Salut, Bateau Genève, Le CARE et La Roseraie. Quelques autres, plus ponctuellement.

«L’insécurité alimentaire frappe 60 000 personnes»

Combien de personnes sont en difficulté à Genève?

Douze pour cent de la population souffre d’insécurité alimentaire, soit environ 60 000 personnes.

Selon vous, la politique alimentaire inscrite dans la Constitution genevoise est-elle appliquée?

Aujourd’hui, les autorités municipales et cantonales, armées d’un millier d’excuses préfabriquées, sont en violation flagrante de l’article 38a de la Constitution cantonale. Elles sont tenues par le droit national, et, par osmose, par le droit international, de garantir l’accès au droit à l’alimentation. Mais on connaît la chanson: les droits humains sont essentiels pour justifier des guerres, sanctionner des populations entières ou privatiser des économies nationales. Quand il s’agit de nourrir un petit nombre de personnes dans l’une des villes les plus riches du monde, tout devient extraordinairement compliqué. Une hypocrisie confondante, dans la ville du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme.

(Propos recueillis par Véronique Benoit)