Sylvie Gonin a été l’une des premières cheffes concierges de Suisse. Fidèle au Beau-Rivage Palace depuis 30 ans, elle raconte le lien fort qui l’unit à «son» hôtel.
C’est en mars 2020, le 20 précisément, que l’impensable s’est produit: pour la première fois en 160 ans d’histoire, le Beau-Rivage Palace a fermé ses portes à Lausanne, à l’instar de milliers d’établissements en Suisse et dans le monde, tous pris de court par la pandémie. Ce jour-là, Sylvie Gonin est aux côtés de la directrice générale, du chef exécutif et d’autres collègues; ils partagent un plat de pâtes dans une ambiance lourde et rentrent chacun chez eux. «On a réalisé à ce moment-là que quelque chose de grave se jouait. Nous étions tous sous le choc, moi la première», confie la native d’Yverdon (VD).
Dix-neuf mois plus tard, on la retrouve dans le lobby de l’institution d’Ouchy. Le coronavirus sévit toujours, mais l’hôtel – dont l’aile historique est en rénovation – grouille de clients suisses, européens, américains et brésiliens. Plus tôt dans la journée, une délégation de financiers attendus seulement en soirée a surgi comme un seul homme. Mais pas de quoi effrayer Sylvie Gonin, qui a un œil sur tout et peut compter sur une solide équipe, vis-à-vis de laquelle elle est attentive et bienveillante.
On est d’abord tenté de revenir sur l’une des particularités de son parcours. Nommée cheffe concierge en 1995, elle est l’une des premières femmes à avoir occupé ce poste en Suisse. Les débuts? «Pas forcément évidents. Des collègues ont démissionné et certains clients se sont étonnés que je porte les Clefs d’or alors que des hommes répondaient au téléphone», se souvient-elle. Aujourd’hui, même si elle reste une exception dans le paysage helvétique, les mentalités ont évolué et plus personne ne songerait à questionner la légitimité de celle qui a connu plusieurs générations d’hôtes et noué des liens forts avec les nombreux habitués. «Chacun reste néanmoins à sa place, il n’y a pas de familiarité déplacée et je n’oublie pas non plus qu’on n’est jamais que de passage dans cette maison, qu’on y travaille six mois ou 30 ans.»
Cette humilité, tout sauf feinte, s’explique par une réserve assez typiquement vaudoise, qu’elle revendique volontiers même si elle sait aussi faire preuve d’autorité, ainsi que par son attachement à la maison. «Parfois, je me balade le dimanche matin dans les couloirs déserts et j’écoute les murs. Le lieu est riche de tous ceux qui l’ont fréquenté, je me sens honorée d’y travailler.» Le charme de cette bâtisse alliant les styles néo-classique et néo-baroque est même si ensorcelant qu’à son contact elle en a vite oublié qu’elle avait choisi l’hôtellerie pour voyager et travailler à l’étranger. «C’était effectivement l’une de mes motivations initiales. Mais une fois que je suis revenue au Beau-Rivage Palace, où j’avais déjà effectué un stage pendant ma formation, j’ai su que j’avais trouvé ma seconde maison», dit-elle en précisant qu’elle est aussi très attachée à l’Arc lémanique, dont elle est l’une des meilleures ambassadrices, jamais avare en adresses et conseils.
En outre, elle a eu l’occasion de beaucoup voyager à titre personnel, privilégiant entre autres les îles où elle s’est longtemps adonnée à la plongée. Sans compter que c’est souvent la planète qui est convoquée au Beau-Rivage Palace, comme en 2015 pour le traité sur le nucléaire iranien. «J’ai reçu des messages du monde entier car les gens m’avaient aperçu à la télévision. Voir la diplomatie en action et côtoyer ces ministres a été une expérience exceptionnelle, tout comme la participation aux briefings quotidiens de sécurité.»
Quid de l’avenir de l’hôtellerie? Sylvie Gonin craint la pénurie de personnel qualifié mais se réjouit du retour des hôtes, grâce auquel le souvenir du 20 mars 2020 s’estompe peu à peu.
(Patrick Claudet)