Le modèle prôné par la Commission EAT-Lancet pour nourrir 10 milliards d’humains d’ici 2050 suscite un débat scientifique croissant. Selon le Dr Jean-Pierre Spinosa, il s’écarte des fondements du métabolisme humain.
Basé à Lausanne, l’onco-gynécologue et chercheur indépendant Jean-Pierre Spinosa consacre ses travaux aux interactions entre la nutrition et le métabolisme, notamment dans la prévention du cancer. Avec des chercheurs du Boston College, dont Thomas Seyfried, il vient de publier, à son initiative, dans la revue Nutrition & Metabolism, une analyse critique du «régime santé planétaire», proposé en 2019 par la Commission EAT-Lancet. Ce modèle, à dominante végétale, entend concilier la santé et la durabilité environnementale. Mais pour le Dr Spinosa, sa généralisation relève d’une erreur biologique, puisqu’elle ignore selon lui les mécanismes fondamentaux de l’évolution humaine, et, plus grave encore, l’individualité génétique et métabolique des individus et peuples.

Le «régime santé planétaire» est remis en cause sous de nombreux aspects. (Pexels)
Ses arguments? Depuis 2,5 millions d’années, Homo sapiens et ses ancêtres se sont nourris d’une alimentation omnivore dominée par la chasse et la cueillette. Leur survie, assure l’article, reposait sur une forte capacité d’oxydation des graisses et sur la production de corps cétoniques lors des périodes de jeûne ou de pénurie. Ce métabolisme lipidique, loin d’être un état pathologique, a façonné le développement du cerveau humain. L’expansion du néocortex aurait dépendu d’apports réguliers en acides gras polyinsaturés, notamment le DHA, en cholestérol et en vitamine B12, des nutriments presque exclusivement disponibles dans les tissus animaux.
A l’inverse, le «régime santé alimentaire» prescrit une consommation très faible de produits d’origine animale et un apport glucidique élevé, de l’ordre de 55 à 60 % des calories quotidiennes. Pour les auteurs, ce schéma «onesize-fits-all» ne tient ni compte des différences génétiques, ni des contextes culturels ou environnementaux. Les arguments de la biologie évolutive sont pourtant difficiles à ignorer, assurent-ils; les populations méditerranéennes, arctiques ou masaï ont prospéré durant des millénaires grâce à des régimes radicalement différents. En outre, le modèle planétaire écarte plusieurs sources essentielles de nutriments denses, notamment les aliments riches en DHA, en vitamine B12 ou en fer hautement biodisponible.
Face à cette standardisation, les auteurs défendent le concept d’un «autogenous diet», soit un modèle nutritionnel aligné sur la physiologie humaine. Sa composition? Modérément protéinée, riche en graisses naturelles, pauvre en glucides. Il privilégie les aliments locaux et peu transformés, réintroduit la saisonnalité, les cycles de jeûne et l’accord avec les rythmes circadiens. Ce régime, expliquent-ils, reproduit les conditions métaboliques ancestrales, tout en répondant aux enjeux modernes de santé publique.
Autre critique: le modèle planétaire surestime le rôle protecteur des glucides complexes et des fruits. Les chercheurs rappellent que les fruits du Paléolithique, amers et fibreux, n’avaient rien de commun avec les variétés modernes, sélectionnées pour leur teneur élevée en fructose. Ces «fruits-desserts», riches en sucres rapides, contribueraient aux mêmes déséquilibres métaboliques que les aliments ultratransformés: résistance à l’insuline, stress oxydatif, stéatose hépatique.
Dr Jean-Pierre Spinosa, Oncogynécologue et Chercheur
Pour les auteurs, «il est louable de concevoir des recommandations alimentaires qui favorisent la santé humaine tout en respectant les effets environnementaux globaux», mais elles doivent s’appuyer sur la cohérence biologique et non sur des présupposés idéologiques. Les recommandations nutritionnelles, soulignent-ils, devraient intégrer les acquis de la biologie évolutive et de la médecine personnalisée, plutôt que viser une uniformité mondiale déconnectée des réalités locales.
A leurs yeux, la promesse du «régime santé planétaire», si elle est appliquée sans discernement, risque d’aboutir à l’effet inverse: un appauvrissement physiologique et culturel. «Sous couvert de progrès, nous pourrions amorcer une profonde régression biologique», concluent-ils.
(Patrick Claudet)