Blancs de clairette et rouges clairs de grenache forgent les goûts de ces vins du sud de la vallée du Rhône. Voyage avec Alexandre Fréguin.
Chevelure de mousquetaire, une répartie instantanée forgée par quinze ans d’expérience dans la haute gastronomie, Alexandre Fréguin, meilleur sommelier du Royaume-Uni en 2018, natif d’Aix et habitant du village, s’impose comme un guide élégant pour découvrir Gigondas. D’emblée il rend attentif à la texture de bouche de ces vins aériens sans lourdeur, à leur salinité, à leur tension grâce à des sols argileux et calcaires. Il veut faire oublier la caricature de vins aux arômes de cuir et à la robe noire. Pour rapprocher ces rouges majoritairement construits sur du grenache noir, un cépage «qu’il faut affiner pour ne pas dégrader la matière», et qu’il rapproche des nebbiolos ou de certains pinots.
Gigondas: une surface de 1205 hectares portée par 220 producteurs, avec un rendement annuel bas de 36 hectolitres par hectare et située, au sud de la vallée française Rhône sud sous l’impressionnant massif des dentelles de Montmirail: «Un relief un peu dramatique, rugueux, mais la vigne, pour se surpasser, a besoin de se mettre dans des situations d’inconfort.» Le sommelier résume la situation ainsi: «On se trouve sur un terroir singulier qui abrite un travail artisanal, autour très majoritairement de vins rouges.» A l’écouter on entend déjà le souffle du mistral qui assainit les vignes et sauve des récoltes entières. Malgré les 2800 heures d’ensoleillement annuel, on imagine les baies de grenache «mijoter et non griller au soleil» et celles de mourvèdre «dont j’adore les tanins qui amènent une dimension charnelle». Le sommelier cite Georges Truc, l’oenogéologue «mangeur de cailloux qui parle pour Gigondas d’arpents nordiques dans des régions sudistes».
La dégustation commence par une curiosité des vins blancs qui rejoignent l’appellation seulement depuis 2023 avec un cahier des charges qui demande 70 % du cépage clairette, élevé sur lies, sans excès, dont «il faut plutôt retenir sa retenue, sa réserve». Le domaine la Bouïssière avec Les Safres 2023 propose une robe très pâle, avec d’étonnants arômes de parfums de genièvre, une belle structure autour de la pêche blanche et une délicate salinité en fin de bouche pour un vin élégant. Le Château de Saint Cosme propose une bouche plus agressive autour de la mangue avec un final un peu iodé.
On peut alors passer aux vins les plus représentatifs de Gigondas. Cela commence avec Aux Lieux-Dits du Domaine Santa Duc 2021 autour d’un assemblage 80 % de grenache, 10 % de mourvèdre, 5 % cinsault et 5 % syrah, élevé traditionnellement dans des vieux foudres et vinifié avec des rafles entières. Un vin à la couleur pâle avec une bouche ample de griottes, de poivre et de paprika, et une fin de bouche rappelant certains cognacs.
Viennent ensuite deux vins opposés dans leurs structures, issus de producteurs œuvrant sur de petites surfaces d’environ un hectare. La cuvée Gabriele, de Cécile Chassagne 2020 (80 % de grenache, 10 % de syrah, 10 % mourvèdre) exhale la groseille et la mûre, avec une tension électrique et une incroyable souplesse en bouche. La vigneronne travaille tout à la main et doit dompter 27 petits escaliers au milieu d’une forêt. Le Cros de la Mûre 2020, d’Eric Michel (80 % de grenache, 15 % de syrah, 5 % de mourvèdre) présente un aspect monolithique rappelant les Outresnoirs de Pierre Soulages, une puissance de cassis et de massepain rehaussé par des vapeurs de balsamique, avec une grande longueur en bouche.
(Alexandre Caldara)
Pour la Bouïssière les Safres, le sommelier Alexandre Fréguin suggère un féra du lac cuisson à l’étouffée avec une huile de pain. Pour la cuvée Gabriele, un chevreuil à cru aux baies de genièvre enfin pour le Cros de la Mûre, une lamproie à la bordelaise avec du céleri boule.