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Le mourvèdre noir de Yecla dans tout son éclat

Dénomination d’origine depuis 1975, grande comme le Valais mais avec seulement une dizaine de caves ou «bodegas», Yecla mise sur le «monastrell», un cépage résistant, de plus en plus cultivé en bio, car favorisé par un climat aride.

La plupart des vignes de Yecla, sur un altiplano balayé par les vents, nécessitent un apport d’eau par goutte-à-goutte. (DR)

Nommé ainsi depuis plus de 700 ans avant qu’il émigre en France, à Bandol où il s’appelle mourvèdre à partir du 16e siècle, le monastrell est bien «le bon cépage dans le bon climat». Dans cette terre pauvre, de calcaire mêlé parfois d’argile, ce cépage donne des vins rouges profonds, puissants, supportant l’élevage en bois et le vieillissement. Influencés par le «style espagnol» de la Rioja, certains producteurs abusent du chêne américain, qui confère des notes de caramel aux vins. L’assemblage avec de l’alicante bouschet (appelé ici grenacha tintonera), de la syrah ou du cabernet sauvignon perdure, mais les purs monastrell tendent à s’imposer.

Bon pour le bio

Résistant, même s’il est sensible aux maladies cryptogamiques (que le vent permanent limite), le cépage méditerranéen se prête bien à la culture en bio. En janvier, au concours Millésime Bio, à Montpellier, la cave Barahonda a obtenu une médaille d’or avec son Summum 2019, vendu en Suisse à 25 francs (par la Casa del Vino). Coop s’approvisionne chez le même producteur pour le HC (pour Heredade Candela), pur monastrell, et pour une cuvée avec du tintorera (20 % et de la syrah (10 %), Campo Arriba, à 10 francs. Ce vin, estampillé Naturaplan, répond aux critères du «bio bourgeon» suisse, plus sévère que le label bio européen. Le copropriétaire, Antonio Candela, est fier de cette reconnaissance et montre les sondes électroniques fichées dans le sol, qui permettent d’irriguer au goutte-à-goutte. Sur cet altiplano, entouré de montagnes, l’eau existe en abondance, mais elle est convoitée par les agriculteurs qui se détournent de la vigne au profit des cultures maraîchères. En cinq ans, selon les chiffres officiels, si deux petits caves se sont installées, 240 vignerons (sur 580) ont renoncé à la viticulture, faisant perdre 2000 hectares à la DO Yecla, qui en affiche encore 4440 ha. Entre 2019 et 2020, la région a mis en marché moins de 5 millions de litres de vin, alors que trois ans auparavant, le vignoble en produisait le double.

Un euro quarante la bouteille

La reconversion est palpable, dans une région où la coopérative, à elle seule, transforme le produit de 2800 hectares. Fondée il y a 75 ans (en 1946), La Purisima a aussi misé sur la culture en bio, depuis vingt ans, effective sur 40 % des vignes. Elle produit 95 % de vins rouges, dont 75 % à base de monastrell. Parmi ses 300 fournisseurs de vendange, certains cultivent 50 ha de vignes non greffées, réservées aux meilleurs vins. Son monastrell Consentido barrica 2019, grande médaille d’or, s’est hissé dans les 50 meilleurs des ­Sélections mondiales des vins du Canada, en octobre 2021, pour un prix autour de 10 francs suisses.

Sa masse de vin, La Purisima la gère en proposant plusieurs gammes, du vin de cépage aux cuvées plus élaborées. 40 % sont livrés en «étiquette privée», sous le nom de clients négociants du monde entier qui commandent des assemblages «à la carte». Le bag-in-box représente 20 % des vins conditionnés. Destinés à la Chine, des bouteilles partent de Yecla, au prix de revient de 1,40 euros, tel ce «vin de pays» El Moreno 2020, un rouge, simple, fruité, aux notes de framboises, techniquement irréprochable. «Ailleurs, même en Espagne, ce genre de vin coûte le double», affirme Federico Marco, à l’export. «Il y a toujours eu trop de vin dans la région. On aimerait bien vendre plus cher, mais on répond aux besoins du marché», explique-t-il. A Yecla, le kilo de raisin est payé entre 0,20 et 0,40 centime d’euros; le raisin bio est majoré de 20 %. Selon le ­degré d’alcool potentiel, la variété et la qualité, ce chiffre peut être doublé.

«Il y a toujours eu trop de vin dans la région. On aimerait vendre plus cher, mais on répond au marché»

Federico Marco, La Purisima


Comme les autres bodegas, la famille Castano cultive ses propres vignes et achète de la vendange à des fournisseurs. La fille d’un des frères aux commandes, Angela, ­diplôme d’œnologue en poche, est partie en stage chez les Perrin, à Beaucastel, à Châteauneuf-du-Pape. Elle croit fermement au monastrell, cultivé en gobelet, sans ­irrigation, entre 700 et 800 mètres d’altitude, exposé au vent du nord. Ces conditions drastiques limitent le poids des raisins et le rendement. La classe du mourvèdre de Yecla s’exprime dans les cuvées plus rares, comme ce Casa Cisca 2015 (vendu 52 francs par Mövenpick), pur monastrell, balsamique, puissant, riche, au boisé déjà fondu. Modernité et tradition se complètent: on élabore le monastrell en rosé (comme à Bandol), ainsi qu’en vin doux muté à l’alcool. Pur, poussé dans ses derniers retranchements, il donne des vins suaves, puissants, chargés en alcool (plus de 15 %), tel ce Zona Zepa 2016 de Barahonda, noté «too much», vendu à près de 80 francs. Avec éclat, Yecla fait le grand écart, entre vins d’un bon rapport qualité-prix et crus haut de gamme.

(Pierre Thomas)


Davantage d’informations:

rutadelvinoyecla.com
foodswinesfromspain.com