Oz est la nouvelle adresse 100 % végétale d’Andreas Caminada, juste à côté du château de Schauenstein.
Du bout de la terrasse, en tendant le cou du côté de la Via Mala, au-delà des châtaigniers et des tilleuls centenaires, on peut presque l’apercevoir. Le potager idéal, le jardin un peu magique où naissent les idées à la carte d’Oz, la dernière-née des adresses d’Andreas Caminada. Le cœur et l’âme de ce restaurant – dont la philosophie est «from garden to table» –, le terroir d’où jaillit chaque matin quelque chose de neuf, qui donne son élan à la créativité des équipes, qui donne vie à des associations étonnantes est à une centaine de mètres des cuisines, dans le village même de Fürstenau (GR).
Au piano, debout toujours, Timo Fritsche donne l’impression de vous recevoir chez lui – le comptoir où s’attablent la douzaine de convives est fait pour placer le regard à hauteur du plan de travail et du feu. Il est secondé par un autre familier du clan Caminada, Giuseppe Lo Vasco, avec autant de charme polyglotte que de naturel.
Oz a ouvert fin juin, entre la pandémie et la météo dégoulinante, autant dire qu’on aurait pu rêver meilleur timing. Les réservations n’en sont pas moins complètes longtemps à l’avance, du moins les fins de semaine. Douze places assises, bien sûr, c’est vite rempli, mais il faut considérer la complexité de cette cuisine végétale, l’énergie, la précision technique et le temps qu’elle nécessite. Oz? Aujourd’hui, en romanche. Autrement dit, l’immédiateté et la spontanéité. Pour Andreas Caminada, cela signifie que «le menu change chaque jour et que l’assiette dépend entièrement de la saison et du moment, du nombre de convives et de l’état du jardin, de la maturité des fruits et légumes.».
En ce début d’automne dense de parfums et de couleurs, on se laisse aller à la douceur de l’instant; la terrasse est idyllique, d’autant que s’y ajoutent quelques amuse-bouche en forme de balade potagère: une première plongée dans les plates-bandes avec mini-radis, tomates multicolores, melon, capucine ou shiso, pastèque confite à la texture étonnante. Le tout souligné par une mayonnaise au miso. Il y a aussi quelques beignets croquants de brocolis dans leur pâte à brik, à plonger dans des raviers au parfum d’estragon ou de piment jalapeno. On adore encore la réinvention du Bündner Plattli, clin d’œil à l’assiette traditionnelle, revisitée à l’aide de légumes déshydratés où la betterave mime la texture et la couleur d’une viande sèche, escortée de céleri et panais séché.
Timo Fritsche est familier de nombreuses techniques permettant d’exprimer au mieux le potentiel fascinant du monde végétal: saumure, fermentation, torréfaction, séchage et dessiccation ou encore longue macération à basse température dans des huiles parfumées, souligne Andreas Caminada. «Tout ceci fait appel à une grande créativité pour briser le rythme habituel des menus».
L’idée d’un concept végétarien poursuivait Andreas Caminada depuis longtemps. «Mais il fallait que je puisse le réaliser de A à Z, dans des conditions idéales. Au commencement, il y avait notre jardin, dont nous nous servions comme d’un potager d’appoint pour nous fournir en herbes et légumes, mais ce n’est qu’en 2019, quand j’ai rencontré Thomas Moon, que nous avons pu démarrer.» Thomas Moon? Le jardinier, naturopathe, paysan et agronome dont l’expérience a permis de convertir le jardin à la permaculture, d’augmenter la diversité et la qualité, en légumes, herbes, fruits, fleurs. «Pour nous, le jardin est à la fois une source d’inspiration et un laboratoire, explique Andreas Caminada. Nous voulions une grande diversité, par exemple en cultivant plusieurs variétés de concombres tout en laissant la végétation prospérer de manière un peu sauvage au milieu de ce qu’on nomme à tort les mauvaises herbes. Cette sauvagerie donne naissance à des tas de choses fascinantes et rares: boutons, graines, fleurs, racines. On recense aujourd’hui plus de 700 variétés végétales. De quoi approvisionner un restaurant.»
En parcourant l’espace ceint d’un mur de pierre, on y découvre un foisonnement parfumé. La verveine, l’aneth, les menthes et le thym citron se déploient dès l’entrée, non loin des côtes de bettes colorées et des choux géants, uniquement dépassés en hauteur par les rames de haricots. Deux tunnels abritent les essences plus fragiles ou les plantons. L’exposition semble idéale, y compris pour les figuiers installés au bout du jardin, les fraisiers, framboisiers et groseille à maquereaux, voire les mini-concombres asiatiques hérissés comme des grenades.
Oz incarne donc le souci de durabilité du chef étoilé en faveur du vivant et de l’humain. «J’éprouve l’obligation de rendre ce que j’ai reçu: j’ai eu la chance de réaliser mes rêves mais j’entends aussi m’engager pour les générations suivantes, raison pour laquellej’ai aussi créé la Fondation Uccelin en 2015.»
(Véronique Zbinden)
Le restaurant Oz remplace la Remisa, espace utilisé pendant plusieurs années comme salle à manger privée. Les parois sont noires, ou presque, des tons fumés et des bleus profonds qui font ressortir la symphonie végétale, l’éclat des couleurs, la lumière vive qui entre par les deux trouées de l’ancienne Remisa. Une voûte de pierre côté château, du bois naturel côté terrasse et sa vue sur le décor alpin.