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Aline Kamakian, la cuisine comme une flamme intérieure

Entrepreneuse à l’origine d’une douzaine de restaurants, elle a créé l’ONG SawaBlessed, qui distribue chaque jour quelque 26 000 repas.

Aline Kamakian a survécu à plusieurs kidnappings et explosions. (photos DR)

Née à Beyrouth, elle est une enfant de la guerre et une rescapée de multiples traumatismes. Aline Kamakian n’aime pas le rappeler, mais elle a été victime d’enlèvement à deux reprises, à cinq ans déjà, alors qu’elle joue au foot dans la cour avec d’autres enfants palestiniens. Elle ne doit sa survie qu’à un heureux hasard. Victime d’un autre kidnapping alors qu’elle est une jeune adulte, Aline a son master, comme elle dit avec son humour noir et une dose de fatalisme typiquement libanais, «ès explosions», après avoir survécu à deux bombes, la troisième, la double explosion du port de Beyrouth, en août 2020, ayant bien failli être la dernière. La gigantesque déflagration a eu lieu à une centaine de mètres de son établissement, pulvérisant celui-ci et envoyant tous ses collaborateurs dans les différents hôpitaux de la ville, avec des blessures et traumatismes plus ou moins graves.

A la carte de son restaurant des Acacias figurent notamment les manti, ces ravioles ouvertes et épicées.

Le parcours d’une battante

Ce qui la fait avancer et lui donne l’énergie de se battre malgré tout? «Si tu ne te relèves pas, tu abandonnes et c’est le sunset, d’une certaine manière», tente-t-elle d’expliquer. A peine sortie de l’hôpital, elle a fait le tour des autres centres de soin de la capitale, le bilan des dégâts et des gravats témoignant du passé de son restaurant du port, et, dans la foulée, elle crée l’ONG SawaBlessed.

Frêle silhouette tout de noir vêtue, couronnée par une chevelure couleur feu. Aline Kamakian a ému et fait vibrer les spectatrices du Curiosity Club de Genève, lors de sa conférence en septembre dernier. Emu parce que son parcours est celui d’une battante, d’une survivante à l’énergie communicative. Issue de grands-parents rescapés du génocide arménien, née à Beyrouth pendant la guerre, elle vit depuis toujours dans un pays en conflit et en a éprouvé à de nombreuses reprises l’horreur dans sa chair. Hyperactive, sa cause aujourd’hui est celle de toutes les personnes abandonnées à leur misère par des politiciens indifférents et un État aux abonnés absents. Des familles entières qui ont besoin, outre de trouver un foyer, de se nourrir, nourrir leurs parents et leurs enfants.

L’ensemble des plats est proposé à des tarifs plus que raisonnables.


«Au décès de mon père, je me suis promis de faire découvrir la cuisine qu’il aimait tant»

Aline Kamakian, cheffe de cuisine


Une exception à Genève

Son autre actualité, locale, celle-ci? La cheffe et entrepreneuse a ouvert ce printemps le Mayrig Bistrot dans le quartier des Acacias, à Genève. On y déguste notamment le hitch, cette salade de boulgour arménienne additionnée de tomate confite et de grenade; les manti, ces ravioles ouvertes épicées et farcies, à l’agneau ou aux épinards, rehaussées de sumac, ou encore une recette de kebab arménienne associant viande et griottes. Ces jours arrivent les plats d’automne, déclinant champignons et gibier. Tous ces plats sont proposés à des prix plus que raisonnables, une exception à Genève, qui ne permet aucun retour sur investissement, à ce stade, au vu du coût de la vie et des charges dans le canton-ville. Une éthique rare et une cuisine arménienne qui associe les saveurs méditerranéennes et celles de l’est, montagneux, plus rustiques.

La table genevoise d’Aline Kamakian a ouvert le printemps dernier.

Aline Kamakian est une autodidacte, ayant appris la cuisine de ses parents alors qu’elle menait des études d’économie aux Etats-Unis: «Au décès de mon père, j’avais seize ans et je me suis promis de faire connaître cette cuisine, qu’il aimait tant.» Comme une forme de loyauté, également, à l’histoire de la diaspora arménienne. En dehors de Genève, elle a créé et gère (pas précisément une mince affaire lorsqu’on est une femme non mariée et que l’on vous refuse de créer une entreprise en votre nom) sept établissements réputés et très populaires à Beyrouth, ainsi que six autres entre l’Egypte, l’Arménie et l’Arabie saoudite. Tous collaborent, à un titre ou un autre, à l’action de l’ONG SawaBlessed sur le terrain.

(Véronique Benoit)


SawaBlessed en bref

Avec l’aide de World Central Kitchen et de dizaines de bénévoles, SawaBlessed cuisine et distribue quelque 26 000 repas par jour dans la Bekaa et au Sud-Liban. Aline Kamakian a aussi publié un livre sur la cuisine arménienne et travaille déjà au deuxième, plus ambitieux, qui se veut une forme d’encyclopédie des traditions culinaires.

mayrigbistrot.com
sawablessed.org