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Comment le Noma s’est réinventé

Refus de la routine, besoin de se réinventer: fin 2016, Redzepi fermait son Noma. Pour mieux imaginer un lieu neuf et non moins allumé, mi-ferme urbaine, mi-labo expérimental.

L’une des nouvelles créations de René Redzepi et de son équipe, qui ont entièrement revu le concept du Noma – rouvert depuis peu aux portes de la ville libre de Christiana à Copenhague. (Jason Loucas)

Deux ans qu’ils en rêvaient et voici que leur vaisseau tout neuf vient de surgir des brumes de Copenhague. Le Noma 2.0 de René Redzepi et son équipe. Un restaurant ferme-urbaine aux portes de Christiania, la ville libre imaginée par les communautés hippies des seventies, et ceci n’est sans doute pas un hasard. L’ambition du lieu est immense, il faut l’avouer, évoquant davantage le centre de recherches avant-gardiste qu’un restaurant conventionnel. Des équipes venues du monde entier entourent René Redzepi, chef charismatique et néanmoins modeste, artisan de la New Nordic Cuisine qui a su faire contre toute attente de Copenhague une destination gastro-touristique majeure. Un phénomène qui a émergé voici une quinzaine d’années avec le premier Noma. Noma ou l’acronyme danois de Nordisk Mad, autrement dit cuisine nordique, remember? Un manifeste qui affiche sa volonté de donner une dignité et une visibilité à ces territoires de glace et d’eau, longtemps perçus comme un désert gastronomique. Un manifeste de la nouvelle cuisine nordique qui parle de pureté, fraîcheur, simplicité, éthique. Et un jeune homme de 25 ans au regard candide, promis à devenir un des chefs les plus influents de la planète, qui raconte alors qu’il «a voulu amener de la joie dans la grande cuisine», de la simplicité, une approche plus décontractée, bref «du fun». Aujourd’hui, une centaine de jeunes gens hypermotivés travaillent à ses côtés: une septantaine en cuisine, une petite équipe créative de quatre ou cinq, une vingtaine au service et le reste à l’administration. Le Noma 2.0 n’ouvre que quatre jours par semaine, un choix en termes de qualité de vie, afin de garder un regard frais et la curiosité qui permet de se réinventer en permanence.

Holothurie et plancton? Bienvenue au Noma 2.0

En février dernier, un des lieux les plus attendus de la Foodosphère ouvrait ses portes du côté de Christiania, «quartier libre» de la capitale danoise, plus connu jusque là des amateurs de fumette que des Foodies. Le Noma 2.0 de René Redzepi. Obtenir une table? Good luck! Les réservations pour la nouvelle saison d’été, ouvertes le 5 mars dernier, se sont arrachées en 25 minutes. Restaient les listes d’attente, la patience ou peut-être un peu de magie pour y arriver. Il nous aura fallu un peu des trois pour y parvenir, en mars dernier, et, sincèrement, l’expérience valait d’être tentée. On a vécu un moment étonnant, comme suspendu au-delà du temps et de l’espace, entre virtuosité technique, inspiration neuve, émotions paradoxales aussi. 

Un décor entièrement habillé de chêne clair et de poutres massives, la lumière du jour, encore un peu blafarde, qui s’immisce de partout, une cuisine tout en transparences. Le site abritait à l’origine un entrepôt à munitions de la Seconde Guerre mondiale: un groupe de huit bâtiments a été réuni et réinventé par le «starchitecte» danois Bjarke Ingels afin d’évoquer une ferme danoise traditionnelle. Car à terme, ce printemps déjà, une ferme urbaine s’ajoutera au restaurant et à ses labos de cuisine expérimentale, mais aussi des serres et un potager sur le toit. 

Une plongée dans l’océan

Au plafond, du varech, des poulpes et des seiches accrochés à la manière d’extravagants abats-jour marins, des brassées d’algues suspendues aux travées pour achever de poser le décor. Le menu sera entièrement dédié aux profondeurs marines, une plongée dans l’océan en seize plats.

La première surprise – servie par le chef himself – nous arrive en coquille: un consommé d’escargot de mer, nacre ourlée de sureau fermenté, fleurs blanches et boutons miniatures, posée sur un lit de sable. Tonique, iodé, concentré, parfait pour affûter ses papilles avant le menu halluciné qui commence à défiler. Voici de minuscules coques insolentes de fraîcheur, assorties de leurs répliques soufflées, des notes de cassis, de bourgeon et de bois, des notes toastées – un plat hirsute et beau comme une plage de galets. Des moules incroyables, énormes, géantes et farcies de leur propre chair, soulignées d’huile d’algues et de beurre de varech fumé. 

Puis un plat d’une délicatesse inouïe, associant de minuscules crevettes norvégiennes à la chair diaphane, bouleversantes de fraîcheur, à l’acidulé de fruits séchés: fraises blanches, tomates cerises et mini-girolles, au croustillant d’une chips iodée, harmonie surprenante et parfaite entre la douceur, l’acide, le concentré de chair marine, la sensation d’umami qui vient tapisser tout le palais. Puis une étoile de mer plus vraie que nature, éclatante de tons rouges et orangés, dessinée avec de simples œufs de truite sauvage, rehaussés de fragments croustillants de prune sèche fermentée. Mais aussi une pseudo méduse, autre illusion parfaite à base de bouillon de calamar et gelée d’œufs de lompe, enchevêtrements d’algues.

Sommets absolus

Une envolée vertigineuse, avec des sommets absolus et des moments déroutants, déconcertants. Des dominantes acidulées, une ode à la fermentation, aux baies arctiques, au sureau, feuilles, fleurs et tiges, aux algues, au bois de cassis, au wasabi islandais. Le fermenté, le séché, le déshydraté, le mariné, le fermenté, le cru et le vivant parfois, souvent et sous toutes leurs formes, tel ce concombre marin qui nous arrivera palpitant sur son lit de glace, obscène avec ses airs de phallus verdâtre, prétexte à annoncer ses entrailles, séchées et frites, servies à la manière de chicharrones de peau de cochon frite.

«Nous voulions amener de la joie dans la grande cuisine» -René Redzepi


De vrais faux-semblants. Une méduse, une étoile de mer, la fameuse holothurie obèse, mais aussi un oursin aux graines de courges fermentées et à la pâte de rose. De mini st-jacques concentrées, beurrée, bouillon végétal. De très très vieilles palourdes d’acajou, dignes steaks océans et des huîtres sauvages, géantes elles aussi, soulignées de feuilles et de fleurs de wasabi. Un calamar débité en nouilles ultrafines, quasi transparentes, légèrement fumé au beurre d’algues. Une salade de bulots aux herbes fraîches servie dans un bol de cire d’abeille.

On cale? Voici une tête géante de cabillaud, rôtie, caramélisée ou presque, à manger avec les doigts à la manière d’un barbecue, en plongeant les morceaux dans trois raviers aux sauces différentes: mélange d’épices, raifort ou macération de fourmi au fort parfum de citronnelle. De quoi casser le rythme et redonner envie de poursuivre. Ben oui, des fourmis, quoi, on avait déjà fait connaissance avec leurs étonnantes déclinaisons au premier Noma. Bientôt, on les élèvera à côté, dans leur futur terrarium.

Poursuivre avec les desserts, oui mais des desserts marins, là encore? A peine moins étonnants. Tout aussi virtuoses techniquement. Revoici des moules, autre réplique parfaite des précédents mollusques: la coquille est faite de peau de poire fermentée, moulée en sosie de l’original, renfermant une crème glacée au varech. Mais encore? Un des plats les plus inouïs, une prouesse absolue, un gâteau de plancton juste renversant, poudré de cassis et bois de cassis, avec la consistance d’un cheese cake couleur matcha.

Réinventer les saisons, disait-on. Le Noma 2.0 n’en connaît plus que trois. L’idée étant de se rapprocher plus encore des rythmes naturels: durant les mois glacés où rien ne pousse, où les produits de la mer sont le plus extraordinaires, les océans dictent leur loi, inspirant chacun des seize plats, intégralement ou en partie, de février à mai. Après quoi viendra le temps des légumes, des premiers frémissements de l’été scandinave aux débuts de l’automne: potager urbain et cueillettes sauvages, un menu idéal pour les végétariens et les véganes. Puis des prémices de l’automne à janvier, ce sera le temps de la forêt et du gibier, seul moment de l’année où la viande jouera un rôle majeur, au côté des champignons, baies innombrables et autres cueillettes automnales. Disparaître pour mieux revenir? Cétait le pari de René Redzepi et du Noma. L’aventure continue, toujours aussi vertigineuse.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

www.noma.dk