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Sachal Eumsik, ou la cuisine des temples coréens, se dévoile au grand public

Le festival Taste Korea! s’associe à Taste of Paris pour présenter un art culinaire millénaire, végétal, vertueux pour l’environnement et la santé, qui inspire les plus grands chefs.

  • Non loin de Séoul, Jinkwansa est un des plus grands temples bouddhistes du pays, réputé pour la délicatesse de sa cuisine, où les visiteurs étrangers peuvent effectuer une retraite. (Cultural Corps of Korean Bouddhism)
  • Les herbes sauvages récoltées par les moniales, utilisées pour des salades, soupes, fermentations.
  • Un kimchi blanc à base de chou, parmi les centaines de recettes existantes.

Hong Seung sunim et Yeo Gu sunim, les deux Vénérables, sont arrivées revêtues de leur ample tunique gris perle, avec de nombreux ingrédients mystérieux dans leurs bagages. Des pousses et des herbes sauvages de la montagne, des graines et de l’huile de pérille, des feuilles de faux camélia et des nouilles de patate douce, des jujubes et des noix de gingko, des légumineuses parfaitement inconnues et des kimchis aux couleurs vives, enfin et surtout leurs précieux jang, ces condiments fermentés emblématiques de la cuisine coréenne, âgés pour certains de plus d’une décennie.

Le respect du vivant

Sourire lumineux sous leur crâne rasé de moniales bouddhistes, elles ont dévoilé au public du salon parisien Taste of Paris l’essence – et quelques-uns des secrets – de la cuisine des temples. «La première clé de cette cuisine est le respect du vivant», explique la Vénérable Hong Seung, excluant la consommation de tout animal; seuls les laitages figurent parfois dans certaines recettes. Sont aussi proscrits cinq végétaux dits oh-shin-che ou piquants (oignon, ail, ciboule, ciboulette et poireau): on considère que ces condiments, sous l’effet de la chaleur, éveillent le désir charnel, alors que consommés crus, ils sont source de colère. Accueillant les visiteurs avec un bol de thé au lotus, la Vénérable Hong Seung en évoque la symbolique. Le lotus pousse en eaux troubles et pourtant sa fleur demeure d’une grande pureté; symbole de l’éveil bouddhique, elle s’entrouvre, puis s’épanouit peu à peu sous l’effet de l’infusion d’eau chaude, évoquant la capacité de chaque être à trouver la voie de l’illumination.

Outre la fleur, les feuilles de lotus sont utilisées, notamment en papillotes pour cuire un subtil gâteau de riz aux jujubes, châtaignes et noix de gingko. Quant à la racine de lotus, elle est omniprésente dans la cuisine des temples: coupée en rondelles ajourées, elle se pare des couleurs vives de la betterave, de l’épinard ou du gardenia pour une délicieuse recette de bugak, soit de légumes et algues séchés puis frits.

Respect et gratitude

Désireuse «d’apporter le printemps coréen à Paris», avec des ingrédients de saison mariés aux produits locaux, la moniale a préparé quelques plats emblématiques de cette cuisine vieille de 1700 ans – le bouddhisme étant présent en Corée depuis le IVe siècle. Les bouddhistes vouent aux végétaux, ces êtres vivants, une considération particulière; de la culture à la cuisine, de la cueillette à la préparation des ingrédients et au repas lui-même, nous leur devons respect et gratitude, explique en substance la sexagénaire. Les produits sont idéalement cultivés sur place, de la manière la plus naturelle et biologique qui soit, ou issus de cueillette sauvage, autant dire que le concept de Farm to Table n’a pas éclos que dans la Californie des Sixties…

L’acte de cuisiner et de manger n’est jamais distinct, pour les nonnes et les moines bouddhistes, de leur pratique spirituelle. Chaque geste est effectué en conscience et en accord avec la nature, de la récolte des ingrédients à leur transformation et à leur consommation. Cuisiner, manger: autant de formes de méditation.

«La première clé de cette cuisine est le respect du vivant»

Vénérable Hong Seung


La fermentation tient une place centrale dans cet art culinaire. Condiments et légumes fermentés, associés à des pousses et plantes sauvages, champignons, algues, fruits et baies donnent naissance à un répertoire d’une grande diversité, dans des camaïeux aux tons étonnants. La fermentation contribue en outre à éviter tout gaspillage – elle ajoute une complexité et une touche d’umami aux saveurs, permet d’attendrir et de rendre comestibles certains produits indigestes, voire toxiques. De nombreuses études ont enfin mis en lumière ses bienfaits pour la santé.

La nourriture est perçue comme la première médecine de l’âme et du corps, selon une vision commune au taoïsme et au bouddhisme. Les produits sont déclinés et associés à des fins précises, en fonction de leurs vertus médicinales. Comme le relève l’experte moniale Wookwan dans un ouvrage récent, yang-nyeom, soit l’assaisonnement en coréen, vient de yak (médicament) et nyeom (pensée ou réflexion). A l’origine de ces pratiques culinaires, on trouve donc une réflexion sur la santé, le potentiel nutritionnel et thérapeutique de chaque élément.

Une forme d’écologie spirituelle

Le rituel du baru gongyang, pratiqué depuis la nuit des temps dans les sanctuaires des montagnes coréennes, invite chacun à se poser des questions telles que: d’où vient cette nourriture? Suis-je assez vertueux pour la mériter? Il s’agit alors de consommer avec modération, sans gaspiller le moindre grain de riz, ce qui a été cultivé dans le respect de l’ordre naturel.

Comment cette cuisine bouddhique pourrait-elle influencer nos sociétés occidentales, qui cultivent les plaisirs de la bonne chère et de l’abondance? Il faut être attentifs à ne pas prendre plus que nécessaire; les gestes du quotidien au monastère – faire la vaisselle, nettoyer, balayer, effectuer toutes les tâches même les plus ingrates – incitent à l’hu­milité, souligne la Vénérable Hong Seung. Ne pas rechercher l’abondance ni l’opulence mais connaître ce qui vous fait du bien tout en ayant bon goût. La notion de sobriété, de tempérance renvoie aussi à l’écologie. Une forme d’écologie spirituelle.

Ethique, végétale, vertueuse pour l’environnement et la santé, millénaire mais avant-gardiste, Sachal Eumsik a décidément tout pour sauver la planète. Les chefs sont de plus en plus nombreux à s’en inspirer.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

coree-culture.org