Le classement 2021 des meilleures tables du monde sacre à nouveau le Noma. Toujours controversé et essentiellement masculin, ce palmarès met du moins en lumière l’Asie et l’Amérique latine.
Après Singapour et une pause forcée en 2020, revoici le plus attendu des palmarès, dévoilé début octobre dans la cité baroque et gourmande d’Anvers. La dix-huitième cérémonie des World’s 50 Best Restaurants s’est tenue devant plus de 750 invités, une centaine de médias internationaux, donnant lieu à une floraison d’événements culturels et gourmands.
Premiers sous les feux des projecteurs, les lauréats des éditions précédentes ont été ovationnés par leurs pairs: Mauro Colagreco (Mirazur, Menton, Best Chef 2019, élu peu avant la pandémie), Massimo Bottura, Joan Roca, Daniel Humm (l’Helvéto-New-yorkais d’Eleven Madison Park couronné en 2017, lire son interview en page 4), Rene Redzepi, (couronné à quatre reprises en 2010, 2011, 2012 et 2014 pour sa réinvention des cuisines nordiques au Noma, à Copenhague). Lors de l’édition 2019, ce panthéon avait été théoriquement mis hors concours, les précédentes distinctions rendant inéligibles ces Best of the Best.
Selon le rituel consacré, la longue litanie des lauréats, prix spéciaux et de leurs sponsors a été livrée en commençant par la fin. Guère de suspense à ménager toutefois puisque, comme le voulait une rumeur insistante, c’est bien le Noma de Rene Redzepi qui remporte à nouveau le titre envié de Meilleur restaurant du monde. Le chef danois a en effet changé de lieu entre-temps et revu entièrement son concept et son fonctionnement, après avoir servi durant la pandémie quelque 65 000 burgers aux habitants du royaume, à défaut de visiteurs étrangers.
Le Noma devance un autre restaurant danois, son quasi voisin de Geranium Rasmus Kofoed – au style radicalement différent. Et en troisième position, Asador Etxebarri (Axtondo, Espagne): le Basque Victor Arguinzoniz, fasciné par la magie du feu et les nuances de la fumée, est également élu par ses pairs.
Les Nordiques occupent une place de choix dans ce palmarès avec les adresses toujours bien notées de Maaemo (Oslo), les Suédois de Frantzen ou encore Alchemist, à Copenhague, qui fait son entrée dans la liste au 58e rang, juste devant le chef grison de Schauenstein Andreas Caminada, seul Suisse à se voir distinguer ici. L’Espagne et les Etats-Unis comptent chacun six chefs parmi les cinquante premiers, l’Italie quatre, là où la France perd encore un peu de sa superbe, avec trois adresses classées parmi les cinquante premières, l’Arpège d’Alain Passard se postant au 23e rang.
Le couronnement de Noma – en dépit de l’exclusion théorique des précédents lauréats – suscite des critiques, quel que soit le génie créatif du Danois. Les jurés auraient de même pu saluer l’audace visionnaire de Daniel Humm. Contraint de fermer son adresse chic de Manhattan durant la pandémie, le chef et entrepreneur suisse a mis sur pied une cantine pour les plus démunis, avant de la métamorphoser en resto 100 % végétarien. «Il n’est même plus question de durabilité, déclarait Humm à la veille de la cérémonie, il y a lieu de changer radicalement le système agro-alimentaire et notre vision de la cuisine.»
Autre cheffe suisse audacieuse, la formidable Zineb Hattab (Kle, Zurich), figure sur la liste des talents émergents du sponsor principal San Pellegrino. Le classement des 50 Best a beau susciter la controverse à chaque édition, il a désormais éclipsé Michelin et autres guides traditionnels, avec pour mérite principal de mettre en lumière l’Asie et l’Amérique latine notamment. Un nouvel équilibre global en somme, où l’Afrique fait une timide percée, mais où la moitié de l’humanité – sa moitié féminine – ne trouve pas vraiment son compte. Les distinctions au féminin sont pour l’essentiel attribuées à part, comme autant d’accessit. Si Pia Leon (Kjolle, Lima) est sacrée Meilleure cheffe du monde, il faut arriver à la 21e place pour trouver Ana Ros, la Slovène d’Hisa Franko première cheffe classée. La seconde étant Dominique Crenn, la Franco-Américaine triplement étoilée de San Francisco, qui atterrit au 48e rang mais se voit décerner par ailleurs un prix spécial (Icon Award).
A noter que l’organisation des 50 Best a récolté 1,29 million de dollars pour venir en aide à des restaurateurs touchés par la crise, ainsi qu’à plusieurs ONG actives dans ce secteur.
(Véronique Zbinden)