Le guide jaune confirme sa ligne, entre caviar et dorures, cuisine de palaces et personnalités déjà médiatiques.
Il est sorti fin novembre, soit avec un léger retard sur son habituel rendez-vous d’octobre. Le Gault & Millau Suisse a dévoilé ses 860 restos (un record), 90 hôtels et 150 viticulteurs le 29 novembre dernier, soit le même jour que son cousin hexagonal, le même jour aussi que La Liste, cette bizarrerie lancée en 2016 pour offrir un contrepoint franco-français aux 50 Best, à partir d’une compilation d’autres classements.
Si La Liste place à nouveau Guy Savoy en tête, devançant huit confrères ex æquo (parmi lesquels Franck Giovannini), le Gault & Millau France consacre pour sa part le Breton Hugo Roellinger (Le Coquillage, St-Méloir-des-Ondes), fils et digne héritier d’Olivier et Jane, avec sa cuisine marine vivifiante. Moins de surprises encore à attendre de la version suisse du guide jaune – toujours dirigé par le tandem Urs Heller-Knut Schwander dans le giron du groupe Ringier Axel Springer et prolongé par sa plateforme sponsorisée – qui ne varie guère, année après année.
Son Cuisinier de l’année se nomme Mitja Birlo et officie à Vals dans le cocon d’un cinq-étoiles de la station thermale (7132 Silver). «Presque personne ne le connaît», note d’emblée le guide. Ce Berlinois de 36 ans était en effet jusqu’à peu le second de Sven Wassmer. A l’appui de ce choix, les critiques soulignent que «sa cuisine complexe et élaborée demande un travail fou. Et ce qu’il ne trouve pas dans la région, il l’achète dans le monde entier…»
Au sommet de sa hiérarchie, le guide jaune maintient son club de sept chefs récompensés de 19 points, avec Tanja Grandits, seule cheffe parmi les Caminada, Chevrier, Giovannini, Ravet, Knogl et Nieder. Le palmarès du Gault & Millau demeure ainsi presque exclusivement masculin, excluant à nouveau Anne-Sophie Pic du clan des 19, selon des critères totalement contestables.
Le guide désigne cinq Promus dans sa nouvelle édition: Jeroen Achtien (18, Sens, Vitznau), Franck Pelux (17, Lausanne Palace), Dietmar Sawyere (17, The Chedi, Andermatt), Diego della Schiava (16, the View, Lugano) et Oscar de Matos (16, Maihöfli, Lucerne) – tous des restaurants de palaces, excepté le Lucernois.
Le Gault & Millau encense au titre de Découvertes deux adresses romandes: le Club Alpin de Champex-Lac, de Maël Gross et Christophe Genetti, et le restaurant Jacques à Lausanne (Jacques Allisson), promus à 15 points, avec les Alémaniques Christian Aeby et Fiona Liengme, Restaurant du Bourg, Bienne (l’étonnant duo de l’ancien Eisblume à Worb), et Niklas Oberhofer (Epoca, Waldhaus de Flims), ainsi que du Tessinois Federico Palladino (Osteria Cuntitt, Castel San Pietro).
Comme le relève 24 Heures, «le Gault & Millau choie les tables vaudoises». La Découverte romande Jacques Allisson, qui a ouvert sa propre enseigne durant la pandémie, est gratifié d’un 15, alors que sa précédente adresse de St-Saphorin n’a pas laissé un souvenir impérissable. Plus haut, le guide attribue d’emblée 18 points à Stéphane Décotterd avant même son installation à Glion. Le même blanc-seing avait été accordé l’année précédente à Franck Pelux, devançant l’inauguration officielle du Lausanne Palace par l’ancien finaliste de Top Chef.
Parmi toute cette galerie virile, deux accessits sont attribués à deux femmes renarquables: Felicia Ludwig est élue Pâtissière de l’année (Ornellaia, Zurich) et Vrony Cotting-Julen est l’Hôte de l’année (sic) pour son adresse insolite Chez Vrony, sur les pistes de Zermatt. Quant au Sommelier de l’année, il se trouve à Rougemont au Valrose: Mathieu Quetglas est passé par Crissier et Le Noirmont, avant de rejoindre Benoît Carcenat pour y accompagner sa cuisine lumineuse.
La restauration est dans la tourmente, les indépendants aux abois? Malgré un nombre record d’adresses, le guide donne son onction aux privilégiés: les chefs soutenus par des mécènes ou des groupes à la solide assise financière, voire ceux que portait déjà le buzz médiatique. Parité? Durabilité? Ethique? Autant de concepts qui attendront.
(Véronique Zbinden)