Le chef de l’Auberge de la Veveyse et son épouse Laurence Dufour misent à Saint-Légier sur une cuisine saine pour le corps et l’esprit, et bonne pour la planète.
Enfant, David Tarnowski arpente l’arrière-pays lyonnais, où sa tante élève poules, vaches et cochons tout en cultivant du blé et d’autres fruits et légumes. A l’adolescence, il s’initie à la pêche en Haute-Savoie et dans l’Isère, où il chasse la truite en remontant la rivière, fouillant sous les souches et les roches pour «mériter» sa prise, avant d’en vider les entrailles pour nourrir la faune. Dans la foulée, il se met à la cueillette et toutes ces passions nourries par la proximité avec une nature au milieu de laquelle il a toujours trouvé une forme d’équilibre, il les combine par la suite dans le cadre de son métier de cuisinier.
A la tête de l’Auberge de la Veveyse avec sa femme Laurence Dufour depuis 2018, le chef amorce aujourd’hui un virage vers une cuisine plus locavore que jamais. Si cette dernière ne prône pas un usage exclusif des produits locaux, elle répond à des critères durables à la mesure des défis auxquels est confrontée la planète – «because there is no planet B», lit-on d’ailleurs sur la casquette qui a remplacé sa toque, et qui est assortie à sa veste de cuisine bleue.
Comme à l’époque du Montagne, à Chardonne, David Tarnowski est attentif à chaque détail. Dans la salle «grise», qui est l’espace gastronomique jouxtant la brasserie, les tables et chaises de noyer sont confectionnées par des artisans locaux. Ecoresponsable, sa vaisselle en céramique est elle en accord avec les disques de sapin faisant office de dessous d’assiette, tandis que dans une cagette on aperçoit les nouvelles planchettes sur lesquelles seront déposées les mignardises. Quant au décor, il est à l’unisson: les poutres blanchies arborent des champignons stabilisés, conférant au lieu un charme organique renforcé par les toiles de l’artiste peintre Ludovic Perrenoud, variations de paysages alpins sous forme de clins d’œil aux randonnées sur les glaciers suisses dans lesquelles David Tarnowski embarque chaque année sa famille. Ce rituel? Une manière de se confronter à la fois au changement climatique et au souvenir de ses visites successives à la Mer de Glace. «En 1990, on la voyait de près; en 2018, elle était grise et moche, sans compter qu’il fallait descendre plus de 600 marches pour y accéder. Un choc.»
Quid de la cuisine? Elle est au cœur de la démarche de David Tarnowski, même si ce dernier se remet encore d’un Covid particulièrement retors. Vite essoufflé, il doit se ménager et déléguer une partie des tâches à son équipe. A l’heure de la mise en place, un samedi juste avant le service de midi, on le sent d’ailleurs soucieux de ne pas abuser de ses forces, mais la maladie n’explique pas tout. Ses priorités ont changé en même temps que ses réflexes de cuisinier; il essaie de profiter de sa famille.
Au niveau de la carte, il cite le tartare de bœuf que les clients peuvent choisir en version 100 % carnée, ou dans une recette mêlant viande et lentilles Beluga. Objectif: réduire les protéines animales – «pour le bien du corps, de l’esprit et de la planète» – tout en misant sur les légumes, qu’il a toujours adorés, et les réductions de jus de légumes et de fruits pour concentrer les arômes. Côté sorbets et glaces, il cueille lui-même ses fruits et prépare sa propre pulpe. «Le goût est différent de celui des produits standardisés, et nous autres, cuisiniers, pouvons éveiller les jeunes à des saveurs plus authentiques, comme je les ai découvertes grâce à ma tante agricultrice.»
(Patrick Claudet)