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Les recettes pour sauver la planète, avec ou sans viande

Etat des lieux – lors d’un congrès récent à Amsterdam – de la  recherche sur la (sur)consommation de protéines animales et les alternatives.

  • Dans un monde idéal, les animaux ont toute leur place en tant que «recycleurs» grâce à un élevage sur des terres uniquement utilisables à cette fin. (Unsplash)
  • Les alternatives à la viande, de plus en plus nombreuses et plébiscitées, s’inscrivent en complément d’un élevage éthique et durable. (DR)

La question est partout. Celle que formulait Jonathan Safran Foer est aussi à l’origine du Meat Atlas 2021, tout juste paru. Elle était au centre du congrès Food Meets Science, organisé il y a quelques semaines à Amsterdam, dont l’originalité tient au fait qu’il réunissait aussi bien des scientifiques que des gastronomes. Peut-on encore manger de la viande ou faut-il devenir végétariens? Dans le camp des irréductibles de la belle barbaque, les experts de la bien nommée PME Nice to Meat, premiers à acclimater en Europe la race japonaise wagyu, firent goûter à l’assemblée cette chair ultra persillée inouïe, fondante, aux notes incroyablement beurrées.

Démentir plusieurs mythes

Autre passionné de viande, le Suisse Manuel Kälin, directeur de Luma Delikatessen, exposa les secrets d’un lent rassisage sur carcasse pour développer des flaveurs uniques d’umami. De la Slovène Ana Ros à l’Italienne Antonia Klugman, plusieurs chefs étoilés vinrent exposer leur vision de la durabilité, liée à un élevage éthique, saisonnier, traditionnel, au fait de consommer l’intégralité de la bête, du mufle à la queue. L’Université néerlandaise de Wageningen est aux avant-postes de la recherche sur les protéines et la transition alimentaire; parmi ses chercheurs, Stacy Pyett commença sa conférence en démentant plusieurs mythes. Par exemple? Les ressources de la planète sont insuffisantes pour nourrir l’humanité. Faux, selon elle. Nous devrons tous devenir végétariens ou véganes. Faux encore. Les alternatives végétales ont une meilleure empreinte environnementale que la viande. En partie faux, nuance encore Stacy Pyett.

Consommer toutes les parties de l’animal réduit le gaspillage

Pour réfuter point par point ces idées reçues, la chercheuse est revenue sur la croissance linéaire de notre consommation de protéines, qui a triplé depuis les années soixante. «L’humanité consomme trop de protéines et il y a là un problème de répartition entre sociétés, mais aussi de compétition entre la part utilisée pour nourrir le bétail et celle requise pour les humains. Les vaches engraissées au soja en sont un exemple aberrant.» On peut ainsi parler de concurrence entre l’humain et l’animal, là où il semble logique de revenir à des troupeaux broutant l’herbe des pâturages, voire le foin qui en est issu. La répartition ensuite. Nos pays riches surconsomment des protéines: aux Pays-Bas, la consommation quotidienne moyenne est estimée à 80 grammes par tête, dont la moitié d’origine animale. C’est un tiers de trop. Aux Etats-Unis ou en Chine, c’est bien plus. (Voir à ce sujet Meat Atlas 2021).

La chercheuse rappelle qu’aucune denrée n’est en soi durable. Il y a lieu de prendre en compte les chaînes d’approvisionnement et les processus de transformation dans leur ensemble. Mais aussi le ratio de conversion des espèces animales et tenir compte de leur régime alimentaire si l’on entend créer un système agro-alimentaire durable. Après récolte, souligne en outre Stacy Pyett, «les résidus végétaux de nombreuses cultures ne sont pas valorisés, mais laissés sur place dans les champs: pourquoi ne pas en nourrir les animaux de rente et contribuer ainsi à réduire le gaspillage?»

Surconsommation et gaspillage

On le sait, le gaspillage offre un fort potentiel pour améliorer le tableau, de l’ordre de 30 à 50 % d’ici 2050. Revenir à consommer la totalité des parties animales – comme nos pays riches en ont perdu l’habitude – en fait partie. Ces dernières décennies, la sélection variétale a conduit à produire des céréales à forte teneur protéinée. L’abondance de nos sociétés nous amène à surconsommer, au mépris de toute considération sanitaire ou environnementale: nous produisons plus de 500 millions de tonnes de protéines par année, dont 108 sont perdues ou gaspillées, alors que 175 millions suffiraient à nourrir neuf milliards d’individus.

Pour en finir avec la compétition homme-animal, il faut revoir toute la filière agro-alimentaire et considérer que le taux de conversion des protéines varie selon les espèces (soit la quantité de nourriture nécessaire à produire un kilo de viande). Dans un monde idéal, les animaux ont toute leur place en tant que «recycleurs» grâce à un élevage sur des terres uniquement utilisables à cette fin, avec un régime axé sur la valorisation de résidus et restes alimentaires. Ce schéma fournirait l’équivalent de 25 gr de protéines par jour et par tête, soit la moitié de l’apport requis ou le tiers de ce que nous ingérons actuellement.

La viande végétale en plein essor

Autre aspect évoqué par plusieurs chercheuses de Wageningen University and Research, le marché de la viande d’origine végétale (plant-based) enregistre une croissance spectaculaire de l’ordre de 6 % par an. Les moyens investis dans la recherche sur les légumineuses, variétés végétales, feuilles de betteraves ou levures, les modes de transformation afin de produire des protéines alternatives sont tout aussi considérables. Ariette Matser a décrit les technologies à l’origine des burgers végétaux et autres alternatives à la viande. Il s’agit de processus complexes, où il est notamment question de fractionnement de la structure des fibres: cette première étape, à partir de fèves de soja par exemple, nécessite de l’eau et de l’énergie – en gros, un tiers de l’énergie requise pour obtenir la même quantité de viande de porc. A ce stade, on obtient soit de la farine de soja, soit un concentré, soit de la protéine pure On peut créer des meat analogues à partir de chacun de ces trois produits, voire des trois. L’étape suivante est celle de l’extrusion, selon deux méthodes distinctes et des volumes d’eau variables: on soumet le dérivé de soja à des températures élevées et une forte pression, avec ou sans ajout de gluten de céréales. Moins gourmande en eau, l’autre technique consiste à fractionner et chauffer à plusieurs reprises la structure protéinique jusqu’à l’obtention d’une pâte, destinée à être façonnée.

(Véronique Zbinden)


L’impact émotionnel

Marleen Onwezen travaille aussi sur les mécanisme psychologiques et émotionnels des consommateurs: quelque 43 % des Européens se disent désormais flexitariens et les alternatives à la viande semblent de mieux en mieux acceptées, une évolution réelle bien que lente. Qu’est-ce qui inciterait à consommer davantage d’insectes ou d’algues? Aux facteurs objectifs et culturels s’ajoutent des aspects émotionnels et inconscients puissants, souligne la chercheuse. Qui observe un fossé entre intentions et comportements. «La durabilité est essentielle pour les végétariens, les consi­dérations égocentriques plus importantes pour les flexitariens. Enfin le statut social, soit le fait de s’afficher en tant que consommateur «durable» joue un rôle inconscient.»