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Un symposium mêle agriculture et culture, science et gastronomie

Pas question d’un énième congrès rasoir sur la durabilité. A Ljubjana, le troisième European Food Summit a réuni des experts venus formuler des solutions concrètes.

Une foule d’événements ont eu lieu en marge du symposium – ici Jorg Zupan en pleine démonstration. (Marko Ocepek)

Qui est la figure la plus influente de la gastronomie contemporaine? Rene Redzepi? Ferran Adrià? Vous n’y êtes pas. Il est mort voici près d’un siècle et se nomme Auguste Escoffier (1846-1935). Telle est du moins l’analyse de l’écrivain John Lanchester. Celui qui a conçu la brigade et l’organisation des cuisines – jusqu’alors franchement chaotiques – est aussi à l’origine de la vision contemporaine du luxe et des palaces. Le propre du fine dining serait au fond de demeurer inaccessible au plus grand nombre, estime en substance l’auteur britannique. La crise récente nous a pourtant ouvert les yeux sur la valeur du partage, de la liberté, la simplicité, la rencontre. Le véritable luxe ne serait-il pas là, ce qui fait de l’hospitalité bien plus qu’un simple secteur économique?

Interventions déterminées

Ces propos de John Lanchester ont été tenus à l’occasion du récent European Food Summit, à Ljubjana, en Slovénie, parmi une série de conférences passionnantes. Ce troisième symposium imaginé par le critique Andrea Petrini vise à faire dialoguer les univers et les expériences pratiques: culture et science, agriculture, gastronomie et arts afin d’ébaucher des réponses conduisant à l’action. Plutôt qu’accoucher d’un énième Boring Food Congress sur le thème de la durabilité. Des interventions déterminées, souvent militantes, parfois pleines d’humour se sont ainsi succédé sur la scène du château dominant la cité slovène, présentées par Andrea Petrini ou la cheffe Ana Roš.

Parmi les exposés marquants, celui de la Suissesse Rebecca Clopath, qui a évoqué sa philosophie 100 % locale. La jeune cheffe a repris la ferme familiale de Lohn, village grison d’à peine cinquante habitants: elle y organise des événements culinaires où manger «en pleine conscience». Tout est bio et local, de l’assiette aux couteaux et aux braseros; les vaches gardent leurs cornes et sont nourries à l’herbe et au foin du domaine, au milieu d’un riche écosystème, à 1600 m d’altitude. Tout est transformé sur place, céréales, légumes, viandes, laitages. Rebecca travaille la flore sauvage et va jusqu’à renoncer au poivre, remplacer le café par des infusions maison, la cannelle ou le cacao par des plantes poussant à sa porte: «La nature est riche de tellement de parfums et de goûts, en découvrir de nouveaux me procure le bonheur d’un peintre qui découvrirait une nouvelle couleur. L’idée est de rapprocher autant que possible agriculture et gastronomie, d’amener la quintessence des Alpes dans l’assiette», dit-elle.

Viande vs protéines marines

La microbiologiste Beti Vidmar, de l’Université de Ljubjana, travaille pour sa part sur les mécanismes de fermentation anaérobie propres aux ruminants. Autrement dit, une histoire de vaches, de rots et de pets et in fine de rejet de méthane dans l’atmosphère. Le rumen ou premier estomac de la vache abrite une faune microbienne dense et fascinante, souligne la chercheuse, qui contribue au processus – la vache n’ayant pas les enzymes nécessaires pour digérer sa propre nourriture.

Depuis la révolution industrielle et l’augmentation de l’élevage, la concentration de méthane a plus que doublé. Il suffirait de réduire notre consommation de viande pour résoudre le problème? Certes. Or nous n’en prenons pas le chemin: on estime au contraire que la production de viande augmentera d’un tiers d’ici à 2030 si rien n’est entrepris. On peut réduire ces émissions via l’alimentation des bovins et leur sélection, mais on pourrait également empoigner le problème par l’autre bout, suggère Beti Vidmar, celui des microbes.

«La nature est riche de tellement de goûts et de parfums»

Rebecca clopath, cheffe de cuisine


Le chef espagnol Angel Leon est un pionnier de la durabilité, lui qui explore les écosystèmes sous-marins depuis 15 ans, main dans la main avec des scientifiques de tous bords. Le créateur d’Aponiente, dans la baie de Cadix, est notamment à l’origine d’une gamme de «charcuterie» issues de protéines marines», de cocktails constellés d’éclats lumineux issus de crabes microscopiques, de fruits et légumes marins évoquant leur cousins terrestres et de menus véritablement extraterrestres, entièrement issus de ces abysses liquides. Les végétaux sous-marins sont un écosystème crucial pour lutter contre le réchauffement climatique, indique Angel Leon et ces ressources pourraient nourrir demain une partie de l’humanité.

On peut évoquer le plancton, qui produit 60 % de l’oxygène que nous respirons et nourrit une grande partie de la faune sous-marine. On peut aussi s’intéresser avec lui à Zostera marina, plante marine très prolifique, abondante dans certaines zones côtières de l’hémisphère nord – «sans doute LE projet de ma vie». Zostera marina produit une graine proche du riz, dépourvu de gluten, dont les propriétés nutritives et la richesse en omega 3 sont extrêmement prometteuses. «On a oublié d’explorer les fonds marins, porteurs de solutions, préférant consacrer des sommes pharamineuses à explorer l’espace», souligne Angel Leon.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

www.foodsummit.eu/en