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«Renouer avec notre histoire»

Coaching à distance, recettes en ligne, écriture d’un spectacle et fin de saison inédite pour son émission sur La Première: le responsable de la Food Experience à l’Alimentarium reste actif en dépit du semi-confinement.

Philippe Ligron est membre de la Société suisse des cuisiniers. (DR)

Philippe Ligron, vous avez rejoint il y a quatre ans l’Alimentarium à Vevey (VD), où vous êtes responsable des ateliers culinaires. Comment vivez-vous cette période?
Philippe
 Ligron: Un peu comme tous ceux qui ne sont pas au front, j’imagine. Je travaille de la maison et parle avec mes équipes via Skype, dont je suis devenu un expert! Je coache aussi à distance mon apprenti de troisième année, à raison d’une séance d’une heure tous les matins. Nous avons revu récemment la pyramide alimentaire et parlé entre autres de la différence entre les nutriments et les substances nutritives.

Quid du moral?
Hormis le fait que j’ai eu la bonne idée d’avoir un accident de moto le 15 mars, je n’ai pas à me plaindre. Il faut dire que je vis dans une ferme, à proximité directe de la nature. J’ai un chien, des chats et des poules qui me donnent chaque matin des œufs frais. Et puis j’ai aussi des chevaux, mais vous allez me dire que c’est normal quand on a grandi en Camargue. 

A quoi ressemblent vos journées? 
Je concocte pas mal de recettes que je publie en ligne. C’est fait avec les moyens du bord et ce n’est pas de la haute voltige. Le but n’est pas d’en mettre plein la vue, mais de suggérer des idées simples – le tartare de bœuf, par exemple – en encourageant les gens à faire appel aux artisans locaux, qu’il faut à tout prix soutenir. Ces recettes de base ont aussi pour but de rassurer les gens face au défi que représente l’alimentation au quotidien. 

C’est-à-dire?
Se faire à manger est pour beaucoup un vrai casse-tête. Avec la fermeture du jour au lendemain de tous les restaurants, certains vivent un calvaire, ils se sentent totalement démunis. C’est pourquoi je me focalise sur les bases. L’alimentation a une forte composante émotionnelle, parfois elle intimide. Je le vois quand mes amis rechignent à m’inviter, de peur de me décevoir. Mais il ne faut jamais avoir peur d’être simple. 

Depuis le 20 avril, l’émission que vous coprésentez avec Duja sur La Première a changé de formule. Pourquoi? 
Bille en tête va s’arrêter en juin. Au moment où tout a fermé, nous avions quatre semaines de réserve. Et lorsqu’il a fallu concevoir la fin de la saison, j’ai voulu revenir à mes premières amours, à savoir l’histoire de la gastronomie, qui avait été au cœur de Chronophage, le premier programme réalisé avec Duja sur Couleur 3. Nous avons enregistré ça dans un studio de la RTS, où nous avons bien entendu respecté la distance de sécurité, et ça a été pour moi une manière de boucler la boucle.
 
En tant qu’historien de la gastronomie, que dites-vous du rapport que nous entretenons avec elle?
Parler de l’histoire de l’alimentation, c’est ramener les gens dans leur propre histoire. Les principes de la digestion ont fait l’objet d’études dès l’Antiquité, et, de manière générale, l’être humain s’est construit autour du repas en société. Sans oublier les nombreux us et coutumes qui nous viennent en droite ligne du Moyen Âge, à l’instar de l’entremets qui visait à garder les gens à table. La transmission de ce patrimoine culturel est primordial. Comme je le dis toujours, on écrit son futur en lisant son passé.

Vous militez également contre le gaspillage alimentaire. Que peut-on en dire dans une perspective historique?
La manière dont nous consommons la viande est choquante; seuls les morceaux nobles comptent. Or, que faisaient les anciens? Ils mangeaient les abats par respect pour l’animal qu’ils avaient élevés. Quant à la charcuterie, elle découle d’un mode de conservation qui permet d’éviter le gaspillage. Comme souvent, les solutions aux problèmes contemporains sont à chercher dans notre histoire collective. 

Un mot, enfin, sur le spectacle que vous êtes en train d’écrire.
Son titre est «Bon appétit!» et il s’agira moins d’un seul en scène que d’une conférence sur scène. La première est pour l’heure prévue le 17 septembre à Féchy (VD), sous réserve que la situation se soit d’ici là normalisée. Ce sera l’occasion d’évoquer l’histoire de l’alimentation, qu’il est plus important que jamais de connaître dans cette société connectée où les gens n’ont jamais été autant déconnectés.  

(Propos recueillis par Patrick Claudet)