Aux commandes de la Chaumière, à Troinex, depuis 2016, le chef étoilé dirige en outre les cuisines du Boléro, à Versoix, et vient de repenser entièrement la philosophie de deux établissements.
Le 7 a beau être son chiffre fétiche, 2018 sera l’année Serge Labrosse. Pourquoi le 7? D’abord parce que La Table du Sept est l’enseigne gastronomique fraîchement renommée de la Chaumière, réinventée dans son décor et sa cuisine, auréolée d’une étoile Michelin dans la foulée. Ouverte un 7 janvier, elle est aussi sa septième adresse genevoise, si l’on remonte à ses débuts au Richemont, que l’on y ajoute ses escales successives, du regretté Buffet de la Gare des Eaux-Vives au Boléro de Versoix, en passant par ses deux ultimes conquêtes: le Sesflo à Genève et L’Instant B à Lausanne.
2017 fut aussi l’année de ses cinquante ans – Dieu sait qu’il ne les fait pas pourtant, avec cette petite lueur espiègle au coin de l’œil, son dynamisme contagieux et la passion qui donne des ailes. Serge Labrosse est donc né en 67 dans un petit village du Charolais, «où tout le monde était paysan, les oncles, les tantes». Seul son père est commercial: il ramène les menus de ses repas d’affaires chez les meilleurs chefs au petit Serge qui en fait collection, déjà convaincu de sa vocation. Maman est une formidable cuisinière, qu’il suit partout, goûtant grâce à elle aux meilleurs produits du terroir bourguignon, fromages costauds, poulets fermiers et autre cochonnaille généreuse. A quatorze ans, l’ado fait le repas de communion de sa sœur. Pour son premier job, après l’Ecole hôtelière de Macon, il file au Hilton de Jérusalem, «apprenant à cuisiner sans beurre ni crème, le comble pour un Bourguignon». A Genève, où il arrive en 1996, Serge Labrosse découvre le Richemont de la grande époque Armleder: le luxe et les fastes d’une clientèle de fidèles. Ce sera sa deuxième place en tant que chef après l’ouverture du Méridien de Bruxelles et la tournée obligée de tables de haut vol, dont le Comte de Gascogne à Paris, la Cloche à Dijon, le Martinez à Cannes et le Méridien de Nice.
Quatre ans au Richemont – sacrée expérience! - après quoi il se voit proposer le futur Buffet de la Gare des Eaux-Vives. Une table bistronomique avant la lettre, où la poitrine de cochon confite tenait volontiers la vedette. Le jeune chef ne tarde pas à se faire connaître, dans ce décor contemporain singulier, préférant l’âme et la personnalité au nappage et aux chichis: sa cuisine très personnelle se verra rapidement récompensée par un macaron Michelin. Une décennie à faire du Buffet un lieu mythique, le moins cher des étoilés mais certes pas le moins fou, ni le moins goûteux. A la même époque, il y aura aussi la brève parenthèse de la Cantine des Commerçants, l’annexe plus accessible, tendance brasserie chic. Puis ce sera l’expropriation pour cause de CEVA, chantier du siècle et marronnier genevois.
Après un temps d’errance et quelques mandats de consultant, notre homme rebondit dans un tout autre décor, Le Flacon, au cœur du vieux Carouge. Entre-temps, voilà qu’il gagne le concours lancé par la Mairie de Versoix pour son nouveau centre culturel. On est en 2015 et quelques couacs administratifs plus tard, le Boléro peut ouvrir. Un vaste cube gris de verre et de béton qui accueille expositions, concerts, bibliothèque et le resto lui-même, décliné en trois espaces: le bar à vins style lounge, la brasserie aux « tables hôtes» en enfilade, enfin, la salle à vocation bistronomique.
Serge a dans l’intervalle tourné la page du Flacon et tente de redonner du lustre à l’Auberge communale de Troinex. Il reprend les lieux en sous-location, avant de pouvoir racheter le fonds de commerce. Comme le Boléro, la Chaumière se décline désormais en trois lieux: coin brasserie, bar à vins et la fameuse «Table du Sept»: 20 couverts, un menu unique sous une mini véranda et des ambitions récompensées la même année par un premier macaron.
Entre-temps, on vient le chercher pour booster des concepts mal en point. C’est le cas du Café Akiko à Lausanne, lieu hybride qui n’a pas trouvé sa clientèle. «Un formidable lieu de passage à deux pas de la gare, avec une clientèle pressée, pour lequel j’ai pensé tout de suite à la street food, mais avec des produits de qualité. Tout est frais et fait maison, y compris les nuggets et la mayo, mais aussi rapide que dans un food truck.»
Ce n’est pas tout. Le Sesflo bat de l’aile, on fait appel à lui pour réinventer cet éphémère lieu modeux, situé sur l’artère cossue de Florissant. Un partenariat aux termes duquel Serge Labrosse crée la carte, d’inspiration méditerranéenne, met en place l’équipe et assure le suivi. Tout est désormais maison: des gnocchis aux raviolis, en passant par les jus et les sauces, dans un décor repensé. En cuisine, Maurizio Coco, son second durant deux ans à Troinex, alors que la cheffe de salle Margaux Hansen est une ancienne du Boléro. «L’important quand on navigue entre plusieurs lieux? Savoir s’entourer, déléguer et faire confiance.»
Une équipe complétée par son épouse Els Labrosse, complice de la plupart de ses aventures. Elle a entre-temps créé son entreprise d’architecture intérieure, contribuant à réinventer la déco des diverses adresses et est présente en salle au Boléro tous les midis. Quant à Serge, il jongle. Lundi Sesflo, mardi Boléro, mercredi Lausanne, le soir à la Chaumière, et ainsi de suite... Il entend «voir les clients, être présent et contrôler que tout est O.K. Je conçois les cartes, mais je demande des propositions. Je pousse mes équipes à la créativité permanente, à réinventer même les plats du jour.»
Il s’implique davantage à Troinex, bien sûr, car il y a cette fameuse étoile et que « c’est un endroit difficile, à l’écart du centre et victime de nombreux changements». L’évolution de sa cuisine aujourd’hui? Il la voit comme un cheminement vers la simplicité, la précision, après avoir longtemps visé la sophistication. Un plat qui lui correspond? Le croque-monsieur de pied de cochon, burrata et truffe. «A première vue, ça ne paraît pas éblouissant mais ça réunit tout, le chaud et le froid, le moelleux et le croquant, la simplicité et la sophistication sous différents apprêts et textures, et une part de mes origines.»
(Véronique Zbinden)