Racheté par des investisseurs russes en 2019, le groupe détenant les guides jaunes traverse des turbulences, la dernière en date étant le retrait de son président Vladislav Skvortsov.
Depuis sa création par deux francs-tireurs de la critique gastronomique, qui lui ont légué leur nom, le Gault & Millau a vécu de nombreux changements de mains et de ligne. Le départ du président du groupe, le Russe Vladislav Skvortsov, annoncé ces derniers jours, vient de replacer la marque aux guides jaunes dans une zone de turbulences. Ce retrait est justifié par le souci «d’éviter tout amalgame avec le conflit russe et de protéger la marque Gault & Millau» s’est empressé de préciser le groupe. Le Russe qui a racheté le groupe en 2019 quitte ses fonctions mais demeure actionnaire; il est remplacé par le Genevois Patrick Hayoun.
Si la référence à Vladislav Skvortsov interroge, c’est parce que son père, Igor Skvortsov, est aussi le président de la Banque russe VTB Africa, filiale d’un des principaux établissements financiers du pays visé par les sanctions, bloqué par les Etats-Unis et exclu du réseau Swift. «Les Skvorstov vivent depuis des années entre la Suisse et la France et ne font pas partie des familles concernées par les sanctions européennes», objecte à ce propos le nouveau président du groupe Patrick Hayoun. Gault & Millau International SA a son siège social à Genève et est une société anonyme, dont les statuts affichent encore à ce jour deux personnes à la direction, Patrick Hayoun et Vladislav Skvortsov. A ce propos, l’entrepreneur genevois estime que la décision du Russe de se retirer de l’opérationnel est «tout à son honneur, après s’être beaucoup engagé au sein du groupe depuis sa reprise», vouant des sommes considérables à son développement.
A ce jour, la marque Gault & Millau compte seize franchises dans autant de pays (Allemagne, Italie, Suisse, France, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche, Brésil, Japon, Dubai, Croatie, Serbie, Slovénie, Géorgie, Grèce). Parmi ces derniers, la Suisse détient l’une des plus anciennes franchises, en mains du groupe Ringier depuis une trentaine d’années. «Un des modèles les plus dynamiques», estime Patrick Hayoun, citant en exemple la gestion du patron suisse Urs Heller.
Comment le système de franchises fonctionne-t-il? «Chaque pays sous franchise verse annuellement des royalties au groupe Gault & Millau pour l’usage du nom et de la méthodologie», explique Patrick Hayoun. Parmi les activités inscrites au registre du commerce, Gault & Millau International mentionne aussi «la promotion et le développement international de la marque, y compris le travail avec les licences-pays». «Notre indépendance à l’égard du groupe est entière, souligne Urs Heller. Nous versons chaque année une contribution fixe au groupe Gault & Millau International mais fonctionnons de manière autonome. Les propriétaires de la marque n’ont pas investi un seul franc dans nos activités.» Gault & Millau Suisse publie annuellement quelque 8000 guides papier, qui ne représentent plus qu’une part infime des revenus de l’entreprise. Les partenariats avec l’univers du luxe, grandes marques automobiles, groupes hôteliers et autres grands distributeurs – qui s’affichent partout sur la plate-forme gaultmillau.ch – ont supplanté les activités traditionnelles des guides historiques. Cette crise illustre la complexité du paysage actuel et de l’application d’éventuelles sanctions dans un secteur assez peu transparent.
(Véronique Zbinden)