Le Conseil national a approuvé à une majorité confortable la motion Haab, imposant de renoncer à ces spécialités incompatibles avec la protection des animaux. Une première victoire, à l’heure où les opinions publiques sont de plus en plus sensibles à la question et où les alternatives au foie gras se multiplient.
Cent dix-neuf oui pour 61 non et 9 abstentions. Les activistes de la cause animale ont remporté le 28 février au Conseil national une première bataille importante. Une alliance improbable de plusieurs ONG (Stop Gavage Suisse, Quatre Pattes, Tier im Recht, Animal Trust, ProTier) et parlementaires UDC s’est faite à Berne autour de l’interdiction d’importer du foie gras en Suisse. Déposée en 2020, la motion Haab (émanant de l’UDC zurichois Martin Haab), acceptée à une large majorité, charge le Conseil fédéral d’interdire l’importation de foie gras, en vertu de la loi sur la protection des animaux (art. 14, al. 1). Elle devra toutefois encore franchir l’obstacle du Conseil des Etats, avant de déboucher sur une possible mise au ban de ce produit controversé.
Pour rappel, la pratique du gavage est interdite en Suisse depuis 1978 et plusieurs interventions visant à bannir toute importation se sont jusqu’ici soldées par des échecs. Le climat a toutefois évolué ces dernières années, note Jérôme Dumarty, cofondateur et président de Stop Gavage Suisse, avec un parlement plus vert et des opinions publiques sensibilisées au bien-être animal. La France, la Hongrie et la Bulgarie restent ainsi en Europe les seuls pays à admettre la pratique du gavage, consistant à introduire un tube dans l’œsophage des oiseaux plusieurs fois par jour jusqu’à ce que leur foie ait décuplé de volume. La motion évoque «des souffrances indescriptibles pour le plaisir discutable de certains». Ces maltraitances liées au gavage mais aussi au mode de détention – ailes brisées, lésions, déchirures – sont d’autant plus inacceptables que la Suisse soumet ses agriculteurs à des règles strictes concernant l’élevage et le bien-être animal, souligne le texte.
Ailleurs, après New York ou la Californie notamment, plusieurs municipalités en France (même Grenoble, Lyon ou Strasbourg) ont renoncé à en servir lors des événements officiels.
En Suisse, l’obligation de déclarer le mode de production des denrées est «compliquée à appliquer et son contrôle pratiquement impossible», estime Jérôme Dumarty, pour qui le monde paysan aurait «tout à gagner à une telle interdiction puisque la clientèle se rabattrait, le cas échéant, sur des produits indigènes». Même si le tourisme d’achat risque aussi d’en sortir renforcé… Les alternatives au foie gras se sont en outre multipliées ces dernières années, souligne le militant; on peut les regrouper en quatre catégories.
En 2006, son produit avait fait sensation au Salon international de l’alimentation parisien (SIAL), qui l’avait élu meilleur foie gras du monde: la spécialité d’un éleveur espagnol d’Estrémadure, bio et éthique, s’inspire notamment de l’Egypte ancienne et de la méthode consistant à laisser s’empiffrer naturellement les volatiles en vue d’une (hypothétique) migration. Eduardo Sousa élève ses oies, hybrides d’espèces sauvages et domestiquées sur quelque 500 hectares de prairies en semi-liberté. Sa production, de niche et de luxe, se retrouve à la table de quelques-uns des meilleurs chefs étoilés du monde, du Basque Martin Berasategui à l’Américain Dan Barber. Autre approche éthique, celle de l’Italien Gioacchino Palestro qui a relancé à la fin des années 1980 un élevage d’oies selon une ancienne tradition lombarde. Ses oiseaux nourris librement de maïs et de figues donnent une gamme de spécialités diverses, du salami d’oie au foie gras (de taille bien plus modeste que la version obtenue par gavage).
Autre alternative, les foies gras végétaux, imaginés par certains chefs et industriels à base d’ingrédients variés: légumineuses, fruits secs, champignons, graines, tofu, etc. A signaler parmi celles-ci, la gamme Noix Gras, du chef étoilé zurichois Tobias Buholzer, proposée à sa table de Rüschlikon, dans diverses épiceries et en ligne, à base de noix de cajou, pignons, œufs et divers condiments. D’autres chefs déclinent leur propre recette à l’enseigne d’adresses végétariennes ou véganes, du Yogi Booster, au Lausanne Palace à Mu-Food, à Genève. Dans la grande distribution, on peut citer également, entre autres, les conserves françaises de La Bonne Foi ou Tartex.
Troisième option, les chercheurs de la société française Aviwell ont développé un procédé visant à laisser les animaux s’empiffrer par eux-mêmes. L’idée consiste à injecter aux jeunes oisons certaines bactéries spécifiques normalement présentes dans la flore intestinale des volatiles voués à migrer: de quoi permettre à leur foie de s’hypertrophier «naturellement». Là-dessus, l’élevage se fait sans gavage et permet d’obtenir du foie gras d’oie biologique. Plusieurs petits élevages du Sud-Ouest ont désormais adopté ce modèle. Autre concept encore, celui d’un producteur allemand baptisé Happy Foie Gras: le foie gras de canards élevés sans gavage est additionné de divers corps gras, de châtaigne et d’œufs notamment avant d’être apprêté.
Enfin, dernière option, à la veille d’être commercialisée, le foie gras cellulaire. Plusieurs entreprises française (Gourmey), belge (Peace of Meat) et japonaises y travaillent: elles entendent produire du foie gras in vitro à partir de cellules de canards, pour une clientèle de gourmets assez hypothétiques que le procédé ne rebuterait pas.
A l’heure actuelle, selon un sondage Demoscope de 2018, quelque 70 % des Suisses ne consomment pas de foie gras (85 % des Alémaniques); toutefois la grande distribution continue d’importer quelque 250 tonnes de foie gras, pour un chiffre d’affaires supposé de 60 millions, estime Jérôme Dumarty.
(Véronique Zbinden)
Selon les estimations de Stop Gavage Suisse, la production mondiale de foie gras s’élevait à 26 600 tonnes en 2013. La France reste le premier producteur mondial (75 % de la production), avec un marché dominé par trois grands groupes: Maïsadour, Lur Berri et Euralis. Suivent la Hongrie et la Bulgarie (environ 9 % chacune), puis l’Espagne, les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, la Chine et enfin la Belgique.