A Genève, l’Hôtel de la Paix qui a rejoint l’enseigne The Ritz-Carlton a fait peau neuve en se dotant d’une table privilégiant le poisson et un répertoire scandinave.
Difficile de croire que l’endroit abritait, voici deux ans à peine, le Vertigo de Jérôme Manifacier, son décor ultracontemporain aux couleurs explosives, sa cuisine généreuse. A la place, on découvre aujourd’hui un concept unique sous nos latitudes. Un décor entre Copenhague et Stockholm, voire la Laponie, frisson en moins, des matériaux bruts, le bois, la pierre, l’ardoise, un mobilier minimaliste aux couleurs de toundra et de lichen. Le Fiskebar.
Entre-temps, l’Hôtel de la Paix est passé dans le giron du groupe The Ritz-Carlton, la nouvelle direction décidant de rhabiller les lieux aux couleurs de l’époque. «Quand nous avons réfléchi à la vocation nouvelle de l’endroit, on en revenait toujours à l’aura de Copenhague, qui est à l’avant-garde dans tous les domaines, du design à la cuisine et de l’architecture au décor de table. L’autre tendance forte du marché en ce moment est liée au poisson. Nous nous sommes logiquement tournés vers le Nord, pour le concept comme pour ce qui est du décor, très minéral, avec de l’ardoise, des galets. L’idée est celle d’un boutique hôtel où l’on se sent à la maison, avec un côté enveloppant, cosy, des poutres apparentes», explique Guillaume Benezech, directeur de l’établissement.
Le décor accueillant le restaurant a été réalisé par le studio de design londonien B3.
Il s’articule autour de deux espaces: d’un côté, la cuisine ouverte, avec ses longues tables invitant au partage et à la convivialité, idéales pour venir en groupe ou en famille partager un plateau de fruits de mer; de l’autre, le restaurant à proprement parler, adossé au camaïeu minéral de la paroi, avec son cadre plus intimiste et feutré, ses banquettes et petites tables, son parquet et ses luminaires minimalistes à la danoise. Le Fiskebar réunit ainsi une quarantaine de couverts en tout.
Le chef exécutif Alessio Corda est allé parfaire sa formation à Copenhague au sein de la brigade de Rasmus Kofoed, l’étonnant chef de Geranium, s’initiant aux arcanes de la cuisine nordique. Issu de la galaxie d’El Bulli, il est passé par Doha et Londres, avant de diriger les cuisines des établissements du groupe à Okinawa et Kyoto. Un parcours véritablement nomade qui s’exprime aujourd’hui en revisitant l’inspiration nordique.
Ou plus précisément Nordic fusion. Les techniques ancestrales remises au goût du jour sous l’impulsion des chefs scandinaves sont bien présentes: fumage, fermentation, marinades, de même que les produits phares et leurs associations emblématiques de Bergen à Malmö. A commencer par les poissons, coquillages et fruits de mer, de la truite de fjord au maquereau, en passant par d’autres zones de pêche avec le rouget ou l’aile de raie notamment. Les laitages, la crème acidulée, les baies et champignons, les pickles ou les œufs de poisson ramènent en revanche illico au pays des Samis.
Le maquereau mariné, chanterelles, baies sauvages est un joli plat aux équilibres intéressants, entre l’acidulé du fruit et le gras du poisson. Le poisson fumé du jour, en l’occurrence un carpaccio de sériole, rehaussé de condiments aigre-doux, mesclun et crème acidulée, joue sur les mêmes notes. On poursuit par exemple avec la truite de fjord dont la chair grasse rappelle plutôt le saumon, nappée d’un consommé ibérique corsé, aux arômes de jambon – sobrement parsemée de quelques pétales d’oignon doux confit et des petits œufs du même poisson.
Là-dessus, les desserts revisitent les intitulés vus à la carte de maintes enseignes danoises. Par exemple? Carotte, lait d’amande, sorbet carotte orange. Ou pomme, hibiscus, granité de céleri. Peu de sucre, des saveurs végétales puissantes, de l’aigre-doux, des céréales: de quoi déconcerter certains amateurs de desserts classiques. L’esthétique des assiettes, elle, est soignée, contrastée en couleurs et en textures. L’offre généreuse en plateaux d’huîtres et autres coquillages, fait aussi quelques détours japonisants (ormeaux, courge kabocha, oursin) ou franchement piquants (araignée de mer, chili, sabayon).
Au côté de cette inspiration voyageuse, des produits aussi bio et locaux que possible: poitrine de cochon de Jussy, légumes du marché, délicieux pain de la boulangerie Keller. Ouvert en septembre dernier, le Fiskebar attire une clientèle très mélangée, de 30 à 60 ans: résidents ou touristes aspirant au dépaysement, collaborateurs des multinationales ou Genevois inspirés par les pays nordiques. «La vue magique sur la rade est une évidence pour venir déguster des mets à base de poisson», souligne Guillaume Benezech.
Autre clin d’œil à l’élément liquide, la cloison transparente à l’extrémité du restaurant, du verre opaque évoquant le ruissellement des cascades. Elle ouvre sur un autre espace dans le prolongement du restaurant: un bar proposant notamment une sélection de caviars, le tout dans un décor se référant plutôt au classicisme italien.
(Véronique Zbinden)