Le saumon des Alpes s’invite à la table des meilleurs chefs

Ronald Herculeijns, ­cofondateur de Swiss Alpine Fish et directeur des ventes et du marketing, a d’emblée misé sur la durabilité.

  • Carnivore, le saumon doit pouvoir manger de la chair et de l’huile de poisson en quantités suffisantes, en plus d’un apport végétal. Swiss Alpine Fish leur procure un aliment d’origine végétale à 65 %, pour quelque 20 % de farine de poisson et 15 % d’huile de poisson, une part qui sera réduite au profit de protéines issues d’insectes. (DR)
  • L’énergie provient de la station hydroélectrique voisine et les déchets sont transformés en biogaz.

Installer une ferme piscicole modèle dans une vallée des Grisons? C’est le pari fou qui a séduit la gastronomie et répond à la fringale actuelle de produits locaux.

On l’avait découvert voici un peu plus d’un an au Cigalon, à Thônex, transformé par l’inspiration marine et la créativité de Jean-Marc Bessire: un somptueux cœur de saumon mariné au jus de betteraves et agrumes, crème aigrelette. On l’a retrouvé récemment à Carouge chez la jeune cheffe du Flacon Lucrèce Lacchio, juste cuit à basse température, escorté de lentilles beluga croquantes, copeaux de légumes racines, beurre blanc au gingembre; revisité par son ancien collègue et voisin du Café des Banques Yoann Caloué en un pimpant et coloré trio saumon/concombre/avocat. Enfin, on l’a vu sur de nombreuses tables en fin d’année dernière, cette fois en version fumée. Même constat unanime. Le saumon des Alpes est un pur délice: chair ferme, texture souple et peu grasse pour un tel poisson, belle teinte orangée marquée de fines veines et fraîcheur absolue. De quoi se réconcilier avec ce salmonidé trop souvent malmené, mal élevé.

Mais au fait, qui a eu l’idée un peu dingue d’implanter un élevage au cœur des Alpes suisses et qu’est-ce qui fait la différence? Au départ, c’est le projet imaginé par deux amis, trader pour le premier, directeur des ventes de Moët Hennessy à l’époque pour le second. En 2013, Julian Connor propose à Ronald Herculeijns d’implanter une ferme piscicole de saumon durable au cœur des Alpes suisses.

Une ferme piscicole durable

«Complètement cinglé», commence par songer celui-ci, avant de faire une petite recherche sur le marché suisse. Le saumon y est de loin le poisson le plus consommé, à raison de quelque 14 000 tonnes (en 2018, en augmentation) importées de Norvège, d’Ecosse, d’Islande, du Danemark, du Canada, voire des Etats-Unis ou du Chili, et issues d’élevages industriels pour l’essentiel; une filière régulièrement mise en cause pour ses atteintes à l’environnement et le recours à toutes sortes de produits chimiques.

«Produire du saumon local dans la ferme piscicole la plus durable d’Europe, c’est l’objectif que nous nous sommes fixé, avant d’établir un business plan et de nous mettre en quête du meilleur site pour l’implanter», raconte ­Ronald Herculeijns, cofondateur et directeur des ventes et du marketing.

Le projet Swiss Alpine Fish s’est concrétisé à Lostallo, dans une vallée italophone des Grisons à vingt kilomètres de Bellinzone. Une première levée de fonds de 20 millions auprès d’une banque et d’une trentaine d’investisseurs a permis de démarrer la construction. Le lancement a toutefois été compromis par un méchant couac, des fuites nécessitant le remplacement de deux réservoirs d’eau salée. L’incident a occasionné des ­retards et nécessité une augmentation de capital. Fin 2018, les premiers saumons ont enfin pu être prélevés. Une série de galères plus tard – en passant par le départ d’un des deux associés –, le saumon suisse des Alpes est aujourd’hui une véritable success story, dont témoignent, enthousiastes, nos meilleurs chefs.

Le bien-être animal avant tout

Comment ça marche? Le saumon est un poisson migrateur qui doit éclore en eau douce, grandir en eau salée et se muscler en affrontant des courants. Tels sont quelques-uns des paramètres avec lesquels il faut composer. Les œufs sont importés d’un site islandais réputé pour la pureté de l’eau et la diversité génétique. Quelque 40 à 50 000 œufs arrivent tous les deux mois environ, éclosent dans les petits bassins de la nursery de Lostallo, avant d’être répartis dans différentes zones au fil de leur croissance. On a opté pour l’aquaculture en recirculation, technologie la plus coûteuse mais aussi la plus économe en ­ressources et en eau douce: l’eau s’écoule en circuit fermé, constamment filtrée et régulièrement purifiée, ne rejetant que très peu d’effluents (dénitrifiés au préalable).

Il faut douze mois aux alevins pour atteindre un poids de cent grammes et encore douze mois pour arriver à leur taille adulte, donc chaque saumon vit environ deux ans avant d’être prélevé. «Initialement, nous rêvions d’une production annuelle de 600 tonnes de poisson vivant, soit 480 tonnes de poisson vidé, explique Ronald Herculeijns. Nous en sommes à 320 tonnes de poisson vivant (2020), soit nettement en dessous de l’objectif initial, mais nous avons considéré que le bien-être supplémentaire était un argument de qualité essentiel pour nos saumons. Nous n’arrivons pas à répondre à la demande, qui est actuellement le triple de ce que nous produisons, mais pour ce saumon premium, que les consommateurs sont prêts à payer un peu plus cher, qui a obtenu le label vert du WWF (Green Rating), c’est une considération importante.»

Enfin, sa valeur nutritionnelle est excellente. Une analyse du laboratoire suisse UFAG, comparant une dizaine de saumons de toutes provenances, atteste que le saumon des Alpes contient nettement moins de matière grasse que les autres saumons d’élevage pour une teneur en omega 3 proche de celle du saumon sauvage. Quant à la teneur en métaux lourds, elle est presque nulle, contrairement à celle de nombreux autres produits.

(Véronique Zbinden)


Aucun antibiotique

A la différence des fermes en milieu naturel, souvent affectées par le problème des poux de mer et les traitements antibiotiques et pesticides qu’ils occasionnent, les saumons grisons n’ont pas de parasites et ne subissent aucun traitement, ni antibiotique.

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