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Une enclave japonaise en terre vaudoise

Propriété de la Ville, le Myo Sushi est exploité par Nicolas Rochat. Sa réussite? Elle tient à trois ingrédients – chefs japonais, poissons sauvages, décor épuré – et au supplément d’âme insufflé par Expo 64.

A midi, le Myo Sushi suggère le menu du marché et le plateau japonais (photo), dont le rapport qualité-prix est imbattable, et qui séduisent une clientèle d’habitués dont certains appellent non pour réserver mais dire qu’ils ne viennent pas. (DR)

A Lausanne, peu de bâtiments subsistent de l’Exposition nationale de 1964. Le plus emblématique est sans conteste le Théâtre de Vidy, dessiné par l’architecte zurichois Max Bill et préservé (en partie) grâce à Charles Apothéloz, homme de théâtre vaudois et cheville ouvrière, lors de Expo 64, de la section Un jour en Suisse, dont la grande attraction – et le grand scandale – a été le sondage Gulliver. Mais en dehors de cette institution aujourd’hui dirigée par Vincent Baudriller, il existe, dans la capitale vaudoise, d’autres traces de ce grand événement national. L’un d’eux est situé sur l’esplanade de Montbenon et abrite le Myo Sushi Bar, propriété de la Ville de Lausanne et géré depuis 1996 par Nicolas Rochat.

Premier restaurant japonais de Lausanne, le Myo – comme l’appellent affectueusement les habitués, et ils sont nombreux – se distingue d’abord par les croisillons ornant ses façades et la finesse de ses structures métalliques extérieures. A l’intérieur, même sobriété: les volumes sont généreux et le style tout aussi épuré. Cette esthétique japonisante a tout de suite tapé dans l’œil de Nicolas Rochat. «C’est même elle qui a dicté le choix de la cuisine japonaise», confie le Lausannois. Car s’il aime la gastronomie nippone pour l’avoir découverte il y a plusieurs décennies déjà au gré de ses voyages professionnels, et qu’il a un faible pour les comptoirs que l’on trouve dans toutes les izakayas – «pratiques quand on est seul, il n’y a pas toujours eu les smartphones pour se donner une contenance» –, il est catégorique: «C’est bien la nature du lieu qui a induit le type de cuisine.»

Des cuisiniers tous japonais

Quand il se lance, Nicolas Rochat ne connaît rien à la restauration. Son business à lui, c’est la confection de vêtements de ski haut de gamme, manufacturés au Portugal avec une ouatine qu’il a conçue et qui est brevetée. «Le lieu m’a appelé, c’est vrai, et, comme j’étais jeune, je trouvais ça sympa d’exploiter un restaurant. Je ne savais évidemment pas dans quoi je m’embarquais.» Les débuts n’ont pourtant rien de calamiteux: il recrute le cuisinier japonais de la Voile d’Or et déploie un concept qui n’a pas changé depuis. «Je n’emploie que des cuisiniers japonais – deux ou trois en salle pour les poissons crus, un en cuisine – et je ne travaille que le poisson sauvage, à l’exception toutefois du saumon, plus gras et tendre quand il est d’élevage.»

Le succès est vite au rendez-vous, mais il est fragile. Le bâtiment impose en effet de nombreuses contraintes, dont la principale est sans doute le nombre limité de places assises (32). D’où la difficulté de jongler entre les saisons, et selon la météo du jour, avec un impact évident sur les ventes quand la terrasse de 120 places ne peut être exploitée. Parfois même, le Myo doit composer avec des événements extérieurs imprévus. C’est le cas en 2017, quand l’esplanade accueille durant six semaines un cinéma open air à deux pas de la terrasse. «Notre clientèle vient chez nous pour le calme. Cet été-là, elle nous a boudés, ce qui a occasionné un manque à gagner de 75 000 francs.»

Excellent rapport qualité-prix

En plus de 20 ans d’exploitation, le Myo a vu la concurrence débouler à mesure que la mode des sushis gagnait l’Occident. Seul au début, le restaurant compte aujourd’hui une trentaine de rivaux, dont l’un – le Sushi Zen au Lausanne Palace – est situé à quelques centaines de mètres seulement. «Paradoxalement, l’ouverture de cette table japonaise et de celle du Beau-Rivage Palace ont boosté nos ventes. Les gens ont voulu comparer et, comme nous sommes intransigeants sur la qualité, nous en avons profité. En revanche, la prolifération de l’offre bon marché pénalise tout le monde, les gens s’habituant aux produits médiocres.»

Face à ces enseignes bas de gamme, le Myo peut faire valoir un excellent rapport qualité-prix. Proposés à 28 francs, le menu du marché (tous les jours différent) et le plateau japonais (soupe miso, assortiment de sushis et sashimis, légumes) n’ont pas de concurrence sur la place. La carte, elle, comprend une grande variété de poissons sauvages (daurade, calamar, loup de mer, bonite, maquereau, sardine, etc.). Quant au thon rouge, espèce menacée, Nicolas Rochat ne la propose pas, même s’il en mange au Japon, tout comme il a renoncé à l’Albacore, dont il trouve la qualité insuffisante. Un grand soin a aussi été apporté à la carte des vins, qui comprend des crus produits exclusivement en biodynamie et qu’il choisit personnellement. 

L’avenir? Il l’envisage avec une relative confiance, comme en témoigne le nouvel agencement de la terrasse comprenant quatre parasols géants de la société suisse Glatz, des nouvelles tables design et 120 chaises en aluminium – le modèle Landi de Vitra, conçu par le designer Hans Coray et portant le nom de l’Exposition nationale de 1939 à Zurich (petit clin d’oeil à Expo 64). Un investissement important que Nicolas Rochat justifie par le fait qu’il tient à préserver l’esprit du lieu. On le croit sur parole, lui qui, au moment de rénover entièrement la salle il y a quelques années, a choisi de… tout refaire à l’identique!

(Patrick Claudet)