Château d’Yquem appartient aux nectars de légende. Sa magie fait penser au Grain Noble de Marie-Thérèse Chappaz.
Avant d’évoquer ces nectars d’exception autour des cépages sémillon et sauvignon blanc en Gironde et marsanne en Valais, un mot nous vient aux lèvres, envoûtement, qui contient une part de magie et nous renvoie à la dégustation d’un château Yquem 2013.
La légende veut que la pourriture noble qui touche les raisins par un champignon appelé Botrytis cinerea ait été découverte par hasard au château d’Yquem, seul et unique Premier Grand Cru Supérieur du classement de 1855 de Bordeaux. Un des secrets d’Yquem réside dans l’équilibre entre le sucre et le volume d’alcool, 155 grammes et 13,5 % en 2009 par exemple. Un assemblage précis de 70 % de sémillon et 30 % de sauvignon blanc et 24 mois d’élevage en fûts. Cela ne va pas vers la corpulence d’autres Sauternes, mais vers une dimension d’orfèvrerie pâtissière tendant vers le yuzu et l’orange amère.
Notre dégustation se déroule lors d’une verticale d’Yquem, mise sur pied par le critique Jean-Marc Quarin, lors des dix ans de ses rencontres, à Lausanne. Il aime: «Ce sucre qui ne colle pas au palais, qui agit en bouche de façon énergétique.» Très rare de se retrouver en compagnie de dix flacons d’Yquem et leurs tarifs devenus, sur certains millésimes, fous. Intimidant d’avoir face à soi de «la lumière bue», selon le truculent Frédéric Dard. D’ailleurs Lorenzo Pasquini, son directeur d’exploitation depuis 2020, ne veut pas démocratiser ce vin, il préfère recréer les meilleures conditions de rencontre avec son public, notamment lorsque des restaurants gastronomiques le proposent au verre.
Ne le cachons pas plus longtemps, la magie d’Yquem nous fait penser au moelleux de Grains Nobles valaisans, à base de marsanne, et plus précisément à ceux de Marie-Thérèse Chappaz. Par l’épaisseur de leur jus, dans un premier temps et l’éclat discret dans un second temps, la vigneronne avoue sa grande admiration pour la structure des vins d’Yquem. Même si elle ne connaissait pas Yquem lors de ses premiers émois: «On n’avait pas accès aux grands Sauternes dans l’enfance. J’ai un souvenir bien plus tard de la découverte du millésime 1967 avec le dégustateur Dominique Fornage, l’équilibre me laissait rêveuse.» Par contre Marie-Thérèse Chappaz se souvient de sa première rencontre à l’âge de huit ans avec un liquoreux en Valais, on nommait cela ermitage flétri: «J’ai goûté ce vin capsulé à la cire et je me souviens que cela rendait mon père d’excellente humeur… Cela m’inspire aujourd’hui encore.»
C’est précisément en dégustant le 2009 d’Yquem que la proximité avec la Marsanne 2022–2023 de Marie-Thérèse Chappaz nous semble la plus homogène. Le premier vin peut laisser apparaître le souvenir du second par cette bouche d’abricots secs et de coings. Mais aussi ces pointes d’étrangeté évoquant le côté herbacé du thé matcha. Yquem 2009 frappe par sa souplesse. Grain Noble Marsanne 2022–23, accordé avec la puissance d’un bleu, une Fourme d’Ambert, propose une bouche de dattes séchées comme une pâte argileuse. Puis part vers quelque chose de plus flottant et floral entre jasmin et vinaigre de Xerès. Marie-Thérèse Chappaz nous rejoint, elle trouve que sa marsanne se rapproche davantage du sémillon d’Yquem, que la petite arvine plus ouvertement acide qui fait plus penser à des liquoreux allemands comme les Trockenbeerenauslese.
Ces deux domaines nous emmènent vers une dimension littéraire, mais apparaissent aussi à ce chapitre leurs notables différences. Château d’Yquem: Marcel Proust en boit et évoque son abondance dans les caves de Guermantes. D’ailleurs les longues phrases de Proust nous semblent se lover dans la complexité ombrageuse du millésime 2001. La vie de Marie-Thérèse Chappaz s’ancre aussi dans la littérature, par la présence ardente, à ses côtés, dans sa jeunesse, de son grand-oncle Maurice Chappaz, virtuose de mots sur l’Humagne Blanc, vin des accouchés, sage-femme vocation d’ailleurs que voulait embrasser la jeune femme avant de se dédier à la vigne. Une prose plus ancrée dans la terre, malgré des échappées océaniques.
(Alexandre Caldara)