Sujin Lee «La dégustation du thé est un art subtil»

La sommelière en thés a créé Tea Repertoire en 2017 à Londres et s’est récemment installée à Carouge, où elle partage sa passion pour le thé.

  • Sujin Lee dans une plantation de thé de la province du Zhejiang, dans l’est de la Chine, où elle a eu l’occasion de se rendre dans le cadre de ses nombreux voyages de prospection en Asie. (Tea repertoire)
  • Sujin Lee a suivi les cours de la World Tea Academy, et elle enseigne désormais à la UK Tea Academy, à Londres.
  • Une plantation de thé logée sur les flancs des monts Wudang, en Chine. (Tea Repertoire)

Sujin Lee, vous avez créé Tea Repertoire en 2017. Comment trouvez-vous vos fournisseurs? En ces temps de pandémie, il doit être difficile d’aller déguster sur place?
Oui, mais par chance notre réseau de fournisseurs existait avant la pandémie. En 2016, après notre mariage, nous avons passé plusieurs mois à voyager au Japon, à Taiwan, en Chine et en Corée. Ma mère nous a beaucoup aidés en nous présentant des fermiers et en nous donnant de nombreux contacts. A l’origine, je pensais me limiter à une trentaine de variétés, mais nous en sommes à plus de cent, dont une quinzaine de matchas. Nous avons heureusement pu établir d’excellents contacts avec de nombreux producteurs et tea gardens. Nous recherchons uniquement l’excellence et grâce à des relations de confiance, nous pouvons continuer en voyageant moins et en nous faisant envoyer des échantillons des nouvelles récoltes.

La dégustation du thé semble très proche de celle des vins?
Mon mari est un bon connaisseur de vins, il m’a fait découvrir cet univers. Mais je dirais que la dégustation de thés est plus difficile, car les nuances sont souvent très subtiles, évanescentes. Un Gyokuro très végétal, par exemple, peut se conclure par des notes légères de fraise, de citron, difficiles à déceler. De vieux arbres aux racines très profondes vont contribuer à ajouter des notes minérales, de café toasté dans certains cas. J’ai créé un tableau de dégustation, avec l’aide d’une designer, dans lequel on retrouve ces nuances. Si on prend ce Pu-Erh 2011, avec ses notes de champignon et de terre, son côté huileux en bouche, on pourrait le comparer au merlot comme cépage, un peu tannique et astringent mais assez rond. Le thé noir Black Forest, un peu chocolaté, me fait penser au malbec. Alors que ce Oolong parfumé au jasmin évoque certains cépages blancs comme le viognier.

«Le mieux pour déguster le thé est toujours le verre»


Quelle est l’importance des terroirs pour déterminer la qualité d’un thé? Et des autres critères de son élaboration?
Un seul arbre, la variété Camellia sinensis, est à l’origine de tous les thés. Mais on distingue ensuite plusieurs centaines de cépages ou cultivars. La marque des terroirs s’y ajoute: la nature des sols, volcaniques, plus ou moins acides, bien drainés, est déterminante. Les meilleurs Oolongs sont ainsi produits dans des zones de haute montagne de Taïwan, avec une couverture nuageuse très particulière. Le processus d’élaboration s’y ajoute, comme dans la vinification.

Où s’arrête la comparaison?
Les thés sont moins codifiés que les vins. La notion de grand cru a été imaginée par certains négociants européens, mais ne correspond pas à une définition stricte sur le terrain. Mais on peut bien sûr parler de grands crus pour toute la gamme que nous proposons chez Tea Repertoire, pour lesquels nous sommes fiers d’avoir obtenu une trentaine de distinctions (Great Taste Awards).

Quelle est l’importance de la préparation?
Les températures sont importantes. Pour le Gyokuro, par exemple, ne pas excéder 50 à 60 °, mais à chaque cru sa température idéale. Il faut être attentifs aux températures mais aussi à la durée d’infusion. Il faut savoir qu’avec des thés de cette qualité, une infusion courte, de 10 à 20 secondes, suffit souvent et qu’on peut réutiliser les feuilles, jusqu’à cinq fois ou davantage, selon la variété. J’utilise une bouilloire avec thermostat pour maîtriser les températures. Mais on obtient des choses merveilleuses en infusant à froid pendant trois ou quatre heures.

Quid des accessoires?
Je propose des accessoires, théières et tasses notamment et j’ai créé une ligne en collaboration avec des artistes et designers genevois et une gamme de verre soufflé avec des artisans en Turquie. Il y a aussi des accessoires pour la préparation du matcha, à la forme étudiée spécialement: le chawan (bol), le chasen (fouet), etc. Le mieux pour déguster est toujours le verre, parfaitement neutre, qui permet aussi de voir la couleur. La céramique conserve la chaleur – ce qui n’est pas idéal pour les thés verts – et s’imprègne des goûts. Je la recommande plutôt pour des thés fermentés tels les Pu-Ehr. Il faut la réserver au service, aux cérémonies, et à la joie de la beauté pure.

Certains thés se conservent longtemps, à l’instar de grands vins et atteignent des prix records.
Certains crus rares et précieux de Pu-Erh peuvent se garder très longtemps, 30 ou 40 ans, voire plus, et se bonifier. Cela donne lieu à toutes sortes de fraudes. Il faut aussi se méfier des conditions de stockage, pas toujours idéales.

Le thé suscite aussi de plus en plus d’intérêt pour accompagner un repas et en cuisine?
En Chine, c’est habituel de boire du thé en mangeant. Ce jasmin infusé à froid sera idéal sur un ceviche au yuzu, divers poissons, très rafraîchissant et doux pour l’été. Il y a aussi d’excellentes combinaisons avec des fromages. A Londres, je travaillais avec le chef Tobi Cartwright (Black Radish, Wimbledon) pour concevoir une carte de tea pairing et il a créé plusieurs plats avec certains de nos crus: canard grillé, thé hojicha, bouillon, shiso ou une glace au thé noir Black Forest, avec ses nuances chocolatées, un sorbet Oolong aux notes de fruit de la passion. En Suisse, j’ai plusieurs chefs comme clients, qui sont intéressés par une collaboration dès que leurs restaurants pourront rouvrir. Quand je cuisine des mets coréens, le bibimbap ou d’autres plats riches en légumes et en huile de sésame, j’aime les marier à des thés verts.

(Propos recueillis par Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

www.tearepertoire.com