Le retour aux origines du cacao

Le trend du «Bean to Bar» – autrement dit les chocolatiers-torréfacteurs qui contrôlent toute la chaîne de production, de la fève à la tablette – gagne enfin la Suisse. Rencontre avec deux passionnés.

  • L’enseigne artisanale genevoise Orfève marche sur les pas des pionniers Bonnat, Bernachon ou Marcolini, s’inscrivant dans la vague qui roule des Etats-Unis à nos portes. (Denis Hayoun - Studio Diode)
  • François-Xavier Mousin et Caroline Buechler se sont lancés dans le chocolat «Bean to Bar», autrement dit de la fève à la tablette. (Denis Hayoun - Studio Diode)

Se réveiller un beau matin avec une vision très claire de «ce qu’on veut faire de sa vie». Le genre de choses qui n’arrive en principe que dans les films. C’est pourtant en ces termes que François-Xavier Mousin évoque sa conversion récente à l’univers du cacao. Faire du chocolat «Bean to Bar», autrement dit de A à Z, ou de la fève à la tablette: c’est l’expression anglaise qui désigne le processus complexe d’élaboration du chocolat et fait l’objet depuis quelques années d’un engouement planétaire.

La Suisse était restée jusqu’ici en retrait, hormis trois artisans alémaniques*, et, tout récemment, la manufacture de poche imaginée par François-Xavier Mousin et joliment baptisée Orfève. Nous nous trouvons du côté de Thônex, aux portes de l’agglomération genevoise et le site de production est bien caché dans un océan de verdure. Notre chocolatier n’a pas hésité à reconvertir la moitié de la demeure familiale en manufacture artisanale, en isolant le local de production et en y installant notamment des filtres à air. Les débuts d’une métamorphose et d’un sacré changement de vie.

Issu de l’horlogerie

Ce quadra passionné est issu de l’horlogerie et du conseil aux entreprises. Il a entraîné Caroline Buechler dans l’aventure, sa compagne et associée, qui gère désormais les aspects commerciaux d’Orfève. «C’est en cherchant à offrir des coffrets contenant des produits du terroir que je me suis intéressé pour la première fois au chocolat, raconte-t-il. En dégustant les tablettes proposées par différents chocolatiers, j’ai réalisé qu’elles étaient très proches en goût, parce qu’elles provenaient du même couverturier. Ils se gardent en général de le mentionner mais ne réalisent que l’étape finale de l’élaboration du chocolat. Un peu comme si le vigneron achetait son raisin déjà pressé pour finir la vinification et mettre au vin sa propre étiquette.»

Voici une décennie, on en est aux balbutiements du phénomène «Bean to Bar». La Maison Bonnat, située à Voiron en Isère, Bernachon à Lyon et le Belge Pierre Marcolini font partie des pionniers qui exigent de connaître l’origine des fèves, leur variété ou encore la date de la récolte. On commence à parler de crus de cacao, voire de grands crus, d’origine, de plantation, etc. Aux Etats-Unis, deux frères hipsters de Brooklyn annoncent modestement leur intention de produire le meilleur chocolat du monde en commençant par la fève: les tablettes so chic des Mast Brothers deviennent un must. En Grande-Bretagne et dans nos pays voisins, Belgique, Italie, France, la tendance est désormais bien ancrée. Entre-temps, la Suisse n’en finit pas de s’endormir sur sa réputation et de se cantonner pour l’essentiel aux tablettes industrielles. A ce jour, si l’on excepte l’industrie et les couverturiers, seuls trois artisans alémaniques travaillent la fève.

En quête d’une formation

François-Xavier se renseigne à toutes les sources disponibles, va voir sur place à quoi ressemblent les cabosses, prend contact avec des «sourceurs» de cacao, cherche surtout une formation – «le parcours du combattant». Pas moyen d’entrer chez Bonnat, il trouve finalement à étancher sa soif d’apprendre en Ecosse chez le Maître chocolatier de Hotel Chocolate, qui ont leur propre plantation à Sainte-Lucie. Pour s’initier à un métier «dont l’essence s’est perdue»: de la torréfaction au moulage final, en passant par le tri, le raffinage, le conchage, le tempérage. Raoul Boulanger, à Lille, l’incite à se lancer: «Il n’y a qu’une façon de faire du chocolat, c’est d’essayer, d’essayer encore. Là-dessus, nous avons eu la chance de rencontrer Nico Regout, cofondatrice de la Maison Marcolini et formidable sourceuse de cacao. Elle s’est montrée extrêmement généreuse, nous a proposé des échantillons, fourni de nombreux contacts et nos premières fèves.»

Restait à acheter le matériel. Les prémisses d’une véritable quête du Graal. On pourrait imaginer que l’achat d’un torréfacteur, d’une conche et d’une tempéreuse soit aussi simple, à l’heure d’Internet, que le fait de passer commande de vêtements ou de pizzas... Oui et non. Le problème tenant ici aux volumes. «On s’était imaginés que l’aventure allait ressembler à l’émergence des micro-brasseries», raconte François-Xavier, évoquant l’ampleur du phénomène qui permet désormais de se procurer un kit de lancement d’un simple clic. Rien de tel pour le cacao. «Impossible par exemple de trouver un roaster, une machine à torréfier pour de petits volumes.»

Pas d’assemblages

Après avoir remué ciel et terre, François Xavier finit par opter pour une solution hybride: un mini-torréfacteur israélien destiné au café, avec trois corps de chauffe et une parfaite souplesse: une géniale machine de laboratoire bricolée jusqu’à parvenir à la courbe idéale de températures. «Depuis la première torréfaction, en décembre dernier, on a pas mal affiné.» Au préalable, les fèves ont été triées à plusieurs reprises dans un petit séparateur avec un système d’aspiration d’air; elles seront ensuite concassées, puis broyées à la meule de pierre. Le grué se transforme alors en liqueur de cacao. Le maître-chocolatier a déniché une mini-conche, italienne, «aussi proche que possible des méthodes anciennes avec deux roues de granit qui tournent et un système de chauffage modulable». C’est à ce stade que l’on ajoute du sucre et du beurre de cacao et qu’on laisse tourner longuement la masse. En douceur, s’il vous plaît!

A préciser que les crus confectionnés à l’enseigne d’Orfève se caractérisent par leur faible teneur en sucre, l’absence de lécithine, conservateurs et arômes, pour un pourcentage de cacao de l’ordre de 75%. Enfin vient l’étape du tempérage – aux courbes de température réglées tel du papier à musique – qui va contribuer à stabiliser le chocolat en passe d’être moulé.

Dans un coin de la manufacture de poche, les sacs de jute de 65 kilos paraissent énormes. Ils contiennent les quatre premiers crus de cacao signés Orfève. Le Nacional Arriba équatorien La Felicidad, particulièrement rond, floral et long en bouche, le Trinitario colombien Tumaco aux notes boisées, de fruit sec et de tabac, le Grand Blanco de l’Alto Piura péruvien, riche et onctueux en bouche, marqué par le miel, les agrumes, la rose, enfin le Trinitario malgache de Bejofo, aux nuances acidulées et épicées. Autant de profils aromatiques bien distincts, qui seront bientôt complétés par d’autres fèves, d’autres origines: Porcelana du Venezuela, Baracoa de Cuba, Catongo du Brésil et quelques essais, notamment avec des éclats de sucre qui croustillent délicieusement sous la dent. Le prix de ce choc de luxe? Logiquement élevé, aux environs de 9,90 francs la tablette. La philosophie de la maison est proche des single malt: pas question d’assemblages mais au contraire de se concentrer sur la pureté de goût propre aux «Pure Origins». Et le lait? «La demande est forte, relève Caroline. Nous travaillons sur la question. Il s’agirait du coup de recourir au meilleur lait et de limiter encore plus l’apport en sucre ». A suivre.

Au terme de ce long voyage et de ce processus si complexe, les tablettes sont enfin rhabillées d’or, la moindre des choses pour un chocolat nommé Orfève…

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

orfeve.com

salondeschocolatiers.com 

*fabianrehmann.ch

garcoa.ch

fabianrimann.com