Se réinventer aux temps du coronavirus

Contraints de fermer, de nombreux cuisiniers, restaurateurs, voire hôteliers, lancent des initiatives originales ou solidaires.

Des recettes à faire soi-même sont proposées en ligne par les pros. (Unsplash)

Ils sont quelque 260 000 collaborateurs dans l’ensemble de la branche, menacés de sombrer avec elle sous l’effet de la crise. En Suisse comme dans les pays voisins, de nombreux cuisiniers, restaurateurs, voire hôteliers contraints d’interrompre abruptement leur saison ont décidé, passé le premier choc, de résister, créer, se montrer solidaires et innovants. 

Des recettes «de confinement»

Pour Romano Hasenauer, patron de l’Auberge du Chalet-des-Enfants à Lausanne et de l’Auberge de l’Abbaye de Montheron, l’annonce des mesures extraordinaires de fermeture des établissements publics a évidemment été un choc. Il a d’abord pensé à donner les stocks à une association caritative; ensuite, il a fallu congeler et lacto-fermenter des kilos de légumes frais pour préserver l’essentiel. Pour autant, il s’estime un peu moins sinistré que d’autres collègues: «Depuis neuf mois, nous avons un petit marché avec les produits du domaine, qui a permis d’en faire profiter la clientèle, des dents-de-lion au lait et aux œufs. Et sinon, nous allons tirer profit de cette période pour nous occuper du jardin et créer un nouveau potager à Montheron, où nous venons de trouver un terrain.» 

De son côté, Cecilia Zapata, entrepreneuse et cheffe du Pachacamac, à Genève, entend également tirer parti de la crise pour se réinventer, repenser son concept de cuisine péruvienne et vraisemblablement étoffer l’offre traiteur de son entreprise. A Genève encore, Pia Gans de Saint Pré, spécialiste de la cuisine sans gluten à l’origine de la PME Les intolérants gourmands, privée des ateliers qu’elle donne habituellement, propose désormais chaque jour sur Facebook des recettes «de confinement» à l’usage des familles. Par exemple? Apprendre à réaliser soi-même son lait d’amande. Et en Italie, le guide Gambero Rosso a lancé «iocucinoacasa» – une invitation aux chefs à réaliser chaque jour une recette live et la proposer sur le site. 

 «Nous allons profiter de cette période pour créer un potager à Montheron» 
 

Pour sa part, la pâtissière Laure Platiau, passée par de nombreux établissements étoilés, dont le Louis XV à Monaco avant de s’installer à Genève, propose des ateliers de pâtisserie en ligne via Facebook et Instagram – du paris-brest aux gaufres en passant par l’île flottante. L’expert en spiritueux et consultant alémanique Arthur Naegele remplace, lui, les événements prévus par des ateliers live en ligne autour du whisky, du gin ou du rhum – les produits à déguster sont livrés à l’avance aux participants. 

Autre idée généreuse autour de la formation continue et du partage, Jeremy Kunz, directeur marketing du Mont Cervin Palace à Zermatt et expert en marketing digital, propose une formation continue gratuite en ligne à ses collègues.

Initiatives solidaires et créatives

Plusieurs collectivités désireuses de soutenir une production locale et éthique, solidaire et artisanale ont mis à disposition des annuaires de bonnes adresses; c’est notamment le cas de Lausanne à Table et de la Ville de Genève. Quant à la journaliste Sabrina Glanzmann, elle a créé un groupe Facebook pour recenser, dans différents domaines, les initiatives solidaires et créatives qu’a suscité la crise. En quelques jours, plus d’une vingtaine de projets ont surgi dans le domaine de l’alimentation.

Un vigneron de Meilen (ZH) s’associe ainsi à ses voisins pêcheur et horticulteur pour proposer des dîners livrés clés en mains alliant poisson frais, bonnes bouteilles et fleurs, alors que le chef lucernois Kurt Koch offre aux privés et employés solitaires de garder courage en se faisant livrer des plats cuisinés, végétariens ou non, à prix très doux. Affectés eux aussi par les annulations d’événements et la fermeture de restaurants-partenaires, des traiteurs bernois ont pensé aux acheteurs compulsifs en leur concoctant des conserves artisanales baptisées Hamstergläser.

On citera encore le groupe de formidables petites productrices de la région zurichoise, qui se sont regroupées à l’enseigne de Miyuko pour proposer des foodboxes à composer soi-même avec des gâteaux invraisemblables, légumes bios, saucissons secs, pains au levain et autres chocolats bean to bar. Un peu partout, restaurateurs et producteurs ont aussi lancé leur propre service de livraison ou take-away, voire étoffé une offre existante avec les plates-formes habituelles, de Smood à Eat ou Foodetective.

L’Office des Vins vaudois répertorie les domaines viticoles offrant un service de livraison, tandis que de nombreux cavistes, clubs ou négociants offrent désormais gratuitement cette prestation. Plutôt original, le Kreissaal Bar bernois propose un choix de cocktails, long drinks et autres boissons livrés à domicile.

«C’est l’occasion de repenser notre concept de cuisine péruvienne» 
 

Alternative à la livraison de restaurants, les plats cuisinés par des particuliers et proposés dans leur quartier ou leur commune à prix coûtant tant que dureront les restrictions liées à l’épidémie: c’est ce que suggère l’application genevoise Neia (never eat industrial again), à compter du 1er avril prochain. A Pully, le resto le Loft s’est provisoirement transformé en épicerie fine, proposant désormais des plats à réchauffer chez soi ou en bocaux, accompagnés d’une carte de boissons à l’emporter, des produits de Sévery aux rhums artisanaux.

Enfin, les hôteliers, en théorie pas contraints de fermer, n’en subissent pas moins les conséquences dévastatrices du confinement quasi planétaire. Certains ont dès lors imaginé des recettes pour se maintenir à flot. A Lausanne, Susan Sax propose ainsi dans ses deux établissements des tarifs très incitatifs à l’intention du personnel hospitalier (49 francs la première nuit, 39 les suivantes) et a transformé une partie de ses chambres en bureaux qu’elle met à disposition avec toutes les infrastructures hôtelières.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:
www.lausanneatable.ch
www.miyuko.ch